Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/300

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Grœculus esuriens, in cœlum jusseris, ibit[1],

Agelastès tressaillit d’abord au son inattendu de la voix de l’empereur ; mais il recouvra aussitôt la présence d’esprit que lui avait ôtée un instant la crainte d’être trahi, et sans s’inquiéter du rang de la personne à laquelle il parlait, il ne put s’empêcher de répondre par une citation qui devait rendre frayeur pour frayeur. Les paroles qui se présentèrent sur ses lèvres furent, dit-on, celles que le fantôme de Cléonice fit retentir aux oreilles du tyran qui l’avait assassinée :

Tu cole justitiam ; teque atque alios manet ultor[2].

Cette sentence et les souvenirs qui l’accompagnaient firent battre violemment le cœur de l’empereur, qui passa néanmoins sans faire semblant d’entendre et sans répliquer un mot.

« Le vil conspirateur, se dit Alexis, a ses complices autour de lui ; autrement il n’eût pas hasardé cette menace. La chose peut encore être pire. Agelastès, si près de quitter ce monde, peut avoir obtenu le don de lire dans l’avenir, propre à son âge, et parler moins d’après ses propres réflexions que par une étrange prescience. Ai-je donc réellement péché dans l’accomplissement de mes devoirs impériaux, au point qu’on doive m’appliquer avec justesse l’avertissement que donnait l’infortunée Cléonice à son ravisseur, à son meurtrier ? Il me semble que non. Il me semble qu’en manquant à déployer une juste sévérité je n’aurais pas réussi à me maintenir dans la haute position où le ciel m’a placé, et où je devais rester, pour lui obéir. Il me semble que le nombre de ceux qui ont éprouvé ma clémence peut balancer celui des criminels qui ont reçu la juste punition de leurs forfaits… Mais cette vengeance, bien que méritée, s’est-elle exercée toujours d’une manière équitable ? Ma conscience, j’en ai peur, ne peut guère répondre à une question si délicate ; et où est l’homme, eût-il même les vertus d’Antonin, qui pourrait occuper une place si haute et qui comporte tant de responsabilité, sans redouter l’avertissement qui vient de m’être donné par ce traître ! Tu cole justitiam…[3] Nous sommes tous obligés d’être justes envers autrui… Teque atque alios ma-

  1. Grammairien, rhéteur, géomètre, peintre, volatile, augure, danseur, médecin, magicien : le Grec au besoin sera tout ; ordonnez-lui d’escalader le ciel, et il le fera. a. m.
  2. Pratiquez la justice : il y a un vengeur pour vous et pour les autres. a. m.
  3. Cultivez la justice. a. m.