Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/280

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des Grecs, rien n’était si probable, si naturel, et même peut-être si justifiable, que de s’abandonner à des projets de vengeance.

Mais le son ressemblait plutôt à un appel régulier, qu’aux fanfares tumultueuses de cors et de trompettes, qui accompagnent la prise d’une ville, lorsque le bruit affreux de l’assaut n’a pas encore fait place à cette morne paix donnée enfin aux malheureux habitants par les vainqueurs las de meurtre et de pillage. Quoi que ce fût, il était nécessaire qu’Hereward s’en informât : c’est pourquoi il dirigea sa marche par une large rue, voisine des casernes, d’où le son semblait partir ; et d’ailleurs d’autres raisons l’invitaient encore à prendre cette route.

Les habitants de cette partie de la ville ne paraissaient pas s’émouvoir beaucoup de ce signal guerrier. Le clair de lune donnait sur la rue, traversée par l’ombre gigantesque des fours de Sainte-Sophie, dont les infidèles, depuis la prise de Constantinople, ont fait leur principale mosquée. Aucun être humain ne se montrait dans les rues, et ceux qui venaient regarder un instant aux portes ou aux fenêtres paraissaient satisfaire aisément leur curiosité ; car ils retiraient presque aussitôt leurs têtes, et refermaient l’ouverture par laquelle ils avaient regardé.

Hereward ne put s’empêcher de penser aux traditions que racontaient les anciens de sa tribu dans les profondes forêts du Hampshire, et qui parlaient de chasseurs invisibles qu’on entendait poursuivre, avec des chevaux et des chiens également invisibles, un gibier qu’on ne voyait pas, dans les profondeurs des forêts de la Germanie. Il lui semblait que le son qu’il venait d’entendre devait ressembler aux fanfares entendues dans les bois enchantés durant ces étranges parties de chasse.

« Fi donc ! » se dit-il, en réprimant cette pensée superstitieuse ; « ces idées puériles conviennent-elles à un homme en qui l’on met tant de confiance, et de qui on paraît tant attendre ? » Il continua donc à suivre la rue, sa hache sur l’épaule, et à la première personne qu’il vit s’aventurant à regarder par la porte, il demanda la cause de ce bruit militaire à une heure si inaccoutumée.

« Je ne puis vous le dire, monsieur, » répondit le citoyen qui ne paraissait guère disposé à rester en plein air ni à lier conversation, et moins encore à se laisser questionner ; c’était le citoyen politique de Constantinople que nous avons rencontré au commencement de cette histoire, et se hâtant de rentrer dans sa demeure, il évita un plus long entretien.