Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/267

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toujours prêt à soulager l’infortune ; voilà comme je me le représentais pendant son absence : je l’ai revu, et je le retrouve réfléchi, froid et égoïste ! — Silence, jeune fille, et apprends à me connaître avant de me juger. La comtesse de Paris est telle que je l’ai dit ; cependant qu’elle descende hardiment dans la lice ; et quand la trompette aura trois fois sonné, une autre lui répondra, qui annoncera l’arrivée de son noble époux ; ou s’il ne paraissait pas, en reconnaissance de ses bontés pour toi, je paraîtrai moi-même pour la remplacer. — Le feras-tu ? veux-tu réellement le faire ? s’écria Bertha. C’est parler comme le fils de Waltheolf… comme un rejeton du vieil arbre ! Je vais retourner auprès de ma maîtresse et la consoler ; car assurément, si le jugement de Dieu décida jamais d’un combat judiciaire, son influence se fera sentir en cette occasion. Mais tu as dit que le comte était ici… qu’il était en liberté… elle me questionnera sur ce sujet. — Qu’il lui suffise de savoir que son époux est sous la conduite d’un ami qui s’efforcera de le défendre contre ses propres folies et ses extravagances ; ou, en tout cas, d’un homme qui, s’il ne peut être proprement appelé un ami, n’a certainement pas joué et ne jouera jamais à son égard le rôle d’un ennemi… Et maintenant, adieu, ô toi si long-temps perdue, si long-temps aimée ! » Avant qu’il pût en dire davantage, la vierge saxonne se jeta dans les bras de son amant, et en dépit de la réserve qu’elle avait montrée un instant auparavant, elle lui imprima sur les lèvres les remercîments qu’elle ne pouvait prononcer.

Ils se séparèrent, Bertha revenant auprès de sa maîtresse dans le pavillon qu’elle n’avait quitté ni sans peine ni sans péril, et Hereward se dirigeant vers la porte que gardait la négresse ; celle-ci commença de complimenter le beau Varangien de ses succès auprès des belles, et lui donna à entendre qu’elle avait été en quelque sorte témoin de son entrevue avec la jeune Saxonne. Une pièce d’or, venant d’une gratification récente, lui lia la langue aussi bien que possible ; et le soldat, une fois hors des jardins du philosophe, retourna en toute hâte à la caserne… pensant qu’il était bien temps de porter quelques provisions au comte Robert, qui était resté tout le jour sans manger.

C’est un dicton populaire que la sensation de la faim ne se rattache à aucune émotion douce ni agréable, et qu’au contraire elle est particulièrement remarquable pour faire naître la colère et le découragement. Il n’est donc pas bien étonnant que le comte Robert, qui avait été pendant un espace de temps si long sans prendre de