Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/261

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le sujet d’une conversation passionnée entre les deux amants, aussi souvent interrompue par les larmes qu’une journée d’avril l’est par la pluie, et mêlée de toutes les tendres caresses que la chasteté permet à des amants qui se retrouvent soudain après une séparation qui menaçait d’être éternelle. Mais cette histoire peut se réduire à peu de mots. Pendant le sac général du monastère, un vieux chevalier normand s’empara de Bertha. Frappé de sa beauté, il voulut la donner pour suivante à sa fille, qui venait de sortir de l’enfance, qui était la prunelle des yeux de son père, unique enfant d’une épouse chérie, enfant qui n’était venue que bien tard bénir leur couche nuptiale. Il était dans l’ordre naturel des choses que la dame d’Aspremont, qui était beaucoup plus jeune que le chevalier, gouvernât son mari ; il était encore naturel que la jeune Brenhilda gouvernât de son côté son père et sa mère.

On doit faire observer néanmoins que le chevalier d’Aspremont désirait procurer à sa jeune fille des amusements plus féminins que ceux qui avaient souvent mis sa vie en péril. Il ne fallait pas songer à contrarier ses goûts, comme le bon chevalier le savait par expérience ; l’influence et l’exemple d’une compagne un peu plus âgée qu’elle pouvaient ne pas être inutiles ; ce fut dans ce dessein que, dans la confusion du sac, Aspremont prit la jeune Bertha. Effrayée au plus haut degré, elle s’attacha à sa mère, et le chevalier d’Aspremont, qui avait le cœur moins dur qu’on n’en trouvait d’ordinaire sous une cuirasse d’acier, touché de l’affliction de la mère et de la fille, et pensant que la première pourrait aussi se rendre utile à son épouse, étendit sa protection sur toutes deux. Il les fit donc sortir de la foule, et paya les soldats qui osaient lui disputer sa part du butin avec quelques pièces de monnaie, et avec de bons coups du revers de sa lance.

Le digne chevalier retourna peu après dans son château, et comme c’était un homme vertueux, la séduisante beauté de la vierge saxonne et les charmes plus mûrs de la mère ne les empêchèrent pas de voyager en tout honneur et sûreté jusqu’au manoir héréditaire, le château d’Aspremont. Là, tous les maîtres qu’on put se procurer furent réunis et chargés d’apprendre à la jeune Bertha tous les talents propres aux femmes, dans l’espérance que sa maîtresse Brenhilda concevrait le désir de participer à son éducation ; mais quoiqu’on réussît à rendre la jeune captive saxonne très habile en musique, en ouvrages d’aiguille et dans tous les talents qu’on donnait alors aux femmes, néanmoins Brenhilda conserva