Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/256

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rappelé à lui par le son de cette voix, « et prépare-toi à endurer, toi ce que tu vis pour témoigner, et ton Hereward pour te raconter… Cet être hideux, il existe… mais ne tressaille pas, ne cherche pas un lieu où te cacher… Ta jolie main, armée d’une houssine, suffirait pour abattre son courage. Et ne suis-je pas ici, Bertha ? voudrais-tu un autre protecteur ? — Non, non, » s’écria-t-elle en saisissant le bras de l’amant qu’elle retrouvait. « Ne te reconnais-je pas à présent ? — Et n’est-ce que d’à-présent que tu me reconnais, Bertha ? — Je le soupçonnais auparavant, » dit-elle en baissant les yeux ; « mais je reconnais avec certitude cette marque des défenses du sanglier. »

Hereward laissa son imagination se remettre du choc qu’elle avait si soudainement reçu avant d’en venir à parler des événements présents qui semblaient devoir enfanter tant de doutes et de craintes. Il la laissa donc rappeler à sa mémoire toutes les circonstances de la chasse d’un sanglier par les tribus réunies de leurs pères. Elle peignit en mots entrecoupés le vol des flèches lancées contre l’animal par les jeunes gens et les vieillards, par les hommes et les femmes, et la blessure qu’elle lui porta elle-même par un trait bien ajusté, mais décoché d’une main trop faible ; elle n’oublia point comment l’animal, irrité par la douleur, s’était précipité sur elle, avait étendu son palefroi mort sur place, et l’aurait bientôt tuée elle-même, si Hereward, voyant qu’il ne pouvait réussir à faire avancer son cheval contre le monstre, n’avait mis pied à terre, et fait de son corps un bouclier pour Bertha. La victoire ne se décida qu’après une lutte terrible ; le sanglier périt, mais Hereward reçut au front un coup de ses défenses, fait dont se souvenait bien celle qu’il venait de sauver. « Hélas ! dit-elle, qu’avons-nous été l’un à l’autre depuis cette époque, et que sommes-nous encore dans cette terre étrangère ? — Réponds pour toi-même, ma Bertha, si tu le peux, dit le Varangien et si tu es encore la même Bertha qui a promis de chérir Hereward, crois-moi, il y aurait péché à penser que les saints ne nous ont réunis que pour nous séparer encore. — Hereward, répondit Bertha, tu n’as point conservé l’oiseau dans ton sein plus soigneusement que moi. Dans ma patrie ou sur le sol étranger, dans l’abondance ou dans la privation, j’ai toujours fidèlement songé à la foi jurée par moi à Hereward, près de la pierre d’Odin. — Ne parle pas de cela ; c’était un rite impie, et il n’en pouvait rien résulter de bon. — Était-il donc si impie ? » dit-elle, tandis qu’une larme mouillait malgré elle son grand œil