Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/253

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puissance illimitée. J’aurai soin de t’en donner un quand je serai de retour au quartier. »

Le Varangien se hâta de retourner chez lui.

« N’est-ce pas une chose étrange, se disait-il, et n’est-ce pas assez pour rendre un homme coquin toute sa vie, que de voir comme le diable encourage un jeune commençant dans l’art de tromper ! Je viens de faire le plus grand mensonge que j’aie fait de toute ma vie… Et quelle en est la conséquence ? C’est que mon commandant me jette à la tête un mandat qui pourra me disculper de tout ce que j’ai fait et me propose de faire. Si le diable était toujours aussi exact à protéger ceux qui se donnent à lui, il me semble qu’on aurait peu raison de se plaindre de lui, et les honnêtes gens ne devraient pas s’étonner que le nombre en soit si grand. Mais un temps vient, dit-on, où le démon prend sa revanche. C’est pourquoi, arrière, Satan ! si j’ai paru être un moment ton serviteur, ce n’est que dans un but honnête et chrétien. »

Comme il s’abandonnait à ces pensées, il retourna la tête, et tressaillit en voyant apparaître derrière lui une créature ayant à peu près les formes de l’homme, mais d’une taille plus élevée : son corps était couvert de poils bruns et roussâtres, à l’exception du visage ; malgré sa laideur, son visage exprimait une profonde mélancolie. Une de ses mains était enveloppée de linge, et un air de peine et de souffrance indiquait qu’il était blessé. Hereward était tellement préoccupé de ses propres réflexions, qu’il crut d’abord une son imagination avait réellement évoqué le diable ; mais après la première surprise, il reconnut sa vieille connaissance Sylvain… « Ah ! mon vieil ami, lui dit-il, je suis charmé que ta fuite t’ait conduit dans un lieu où tu trouveras abondance de fruits pour te nourrir. Mais suis mon conseil, tâche de n’être pas découvert… suis le conseil de ton ami. »

L’homme des bois fit entendre des sons inarticulés en réponse à ces paroles : « Je te comprends, reprit Hereward, tu ne seras pas le rapporteur, dis-tu, et, en vérité, j’ai plus de confiance en toi qu’en la majeure partie de ma propre race bipède, où l’on ne songe éternellement qu’à se jouer et à se tromper l’un l’autre. »

Une minute après avoir perdu de vue l’orang-outang, Hereward entendit une voix de femme qui appelait au secours. Ces accents devaient avoir un intérêt bien vif pour le Varangien, puisque, oubliant le danger de sa propre situation, il rebroussa aussitôt chemin et courut prêter assistance à celle qui l’implorait.