Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/242

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c’est un crime presque aussi grand que de douter de l’infaillibilité de tes jugements. — Permettez-moi cependant, dit le césar, de saisir ces précieuses paroles avant qu’elles tombent à terre… permettez-moi d’espérer que l’homme à qui Dieu donnera la puissance et la force de vaincre ce fameux comte de Paris lui succédera dans l’affection de Brenhilda ; et, croyez-moi, le soleil ne descend point sur l’horizon avec autant de vitesse que j’en aurai pour courir à la rencontre de votre époux. — Oh ! par le ciel, » dit le comte à Hereward, d’une voix pleine d’anxiété, « c’est trop en attendre de moi ; je n’écouterais point tranquillement un méprisable Grec, qui pâlirait en voyant briller tranchefer, me braver en mon absence, et tenter de séduire la comtesse mon épouse !… Il me semble que Brenhilda laisse prendre plus de liberté que de raison à ce perroquet babillard. Par la croix ! je vais sauter dans l’appartement, les confondre par mon arrivée soudaine ; et arranger ce fanfaron d’une manière dont il gardera le souvenir. — Avec votre permission, » dit le Varangien qui pouvait seul entendre ces paroles violentes, « vous ne serez guidé que par la froide raison tant que je serai avec vous. Quand nous ne serons plus ensemble, alors que le diable de la chevalerie errante vous prenne sur ses épaules et vous emporte où bon lui semblera. — Tu es une brute, » répliqua le comte en le regardant avec un air dédaigneux qui correspondait à l’expression qu’il employait ; « non seulement sans humanité, mais encore privée de tout sentiment naturel d’honneur ou de honte. Le plus méprisable des animaux ne reste pas impassible en voyant attaquer sa compagne : le taureau présente les cornes à son rival… le mâtin recourt à ses dents… et même le cerf timide devient furieux et combat. — Parce que ce sont des bêtes, et que leurs compagnes sont aussi des créatures sans pudeur ni raison, qui ne peuvent comprendre la sainteté d’un choix. Mais d’ailleurs, comte, ne peux-tu donc voir que le but manifeste de cette pauvre femme abandonnée par tout le monde est de te garder ta foi, tout en évitant les pièges dont ces infâmes l’ont entourée ? Par les âmes de mes pères ! mon cœur est tellement touché de sa candeur, de son innocence et de sa fidélité, que moi-même, à défaut d’un meilleur champion, je lèverais ma hache d’armes pour la défendre. — Je te remercie, mon brave ami, je te remercie aussi sincèrement que s’il était possible que tu rendisses ce bon service à Brenhilda, l’alliée de plus d’un noble seigneur, la maîtresse de plus d’un grand vassal ; et, ce qui vaut mieux que des remercî-