Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/24

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tale briller de la beauté et de l’éclat de celle qui n’est plus. Mais la nature a des lois invariables qui s’appliquent au système social comme au système végétal. Il semble qu’il y ait une règle générale, d’après laquelle tout ce qui est destiné à durer long-temps doit se mûrir et se perfectionner lentement et par degrés ; et tout effort violent et gigantesque pour obtenir le prompt succès d’un plan qui embrasse des siècles entiers, est condamné dès sa naissance, entraîne avec lui les symptômes funestes d’une fin prématurée. C’est ainsi que, dans le conte oriental, le derviche explique au sultan l’histoire de ces arbres superbes sous lesquels ils se promènent tous deux, et lui apprend comment il est parvenu à les élever à cette hauteur en les cultivant avec soin depuis le moment où ils n’étaient encore que semence ; et l’orgueil du prince est étonné et humilié en réfléchissant à la culture simple et naturelle de ces beaux arbres pour lesquels aucun soleil n’a jamais été perdu, et qui, dans chaque retour régulier de l’astre vivifiant, ont dû puiser une nouvelle vigueur. Alors il fait une triste comparaison entre eux et les cèdres épuisés qui, transplantés tout-à-coup, penchent leurs têtes majestueuses et languissent dans la vallée d’Orez[1].

Tous les hommes d’un goût éclairé, et il en est beaucoup, qui ont visité Constantinople, s’accordent à reconnaître que le lieu le plus digne et le mieux choisi pour établir le siège d’un empire universel est la ville de Constantinople ; elle seule réunit tous les avantages sous le rapport de la beauté, de la richesse, de la sécurité et de la grandeur. Cependant, malgré cette supériorité de situation et de climat, cette splendeur d’architecture, de temples, de palais ; malgré ces riches carrières de marbre et tous ces trésors, le fondateur de Constantinople doit avoir reconnu lui-même que s’il pouvait employer tous ces riches matériaux pour exécuter ses désirs, c’était le génie et le goût seuls que les anciens possédaient à un degré éminent, qui avaient produit ces œuvres merveilleuses devant lesquelles les hommes s’arrêtent, saisis d’admiration pour l’art, ou pour la pensée qui a présidé au travail. Il fut bien au pouvoir de l’empereur Constantin de dépouiller les autres cités de leurs statues et de leurs chefs-d’œuvre pour orner la ville dont il faisait sa nouvelle capitale ; mais les héros, les grands hommes célèbres en poésie, en peinture et en musique, avaient cessé d’exister. La nation, quoique encore la plus civilisée du monde entier, était bien loin derrière cette époque célèbre où le seul désir de s’illustrer

  1. Conte de Mirglip, dans l’histoire des génies. a. m.