Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/225

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qui lui transmettait les secrets qu’on laissait échapper dans sa prison d’état à Syracuse. — Et cette oreille est encore stationnaire à Syracuse. Dites-moi, mon très crédule ami, craignez-vous qu’elle n’ait été transportée ici en une nuit, comme les Latins pensent que le fut la chapelle de Notre-Dame de Lorette ? — Non, mais dans une affaire si importante on ne peut user de trop de précaution. — Très bien, le plus prudent des candidats à l’empire, et le plus froid des chefs militaires. Apprenez que le césar, pensant, je m’imagine, qu’il n’y a aucune chance que l’empire tombe à aucun autre qu’à lui, s’est mis dans la tête de considérer sa succession au trône d’Alexis comme une chose naturelle ; en conséquence, comme les choses naturelles sont celles pour lesquelles on se tracasse peu, il a laissé tout le soin de servir ses intérêts dans cette importante occasion à toi et à moi ; tandis que cet imbécile voluptueux est devenu lui-même fou… de quoi croiriez-vous ? de quelque chose entre l’homme et la femme… femme dans ses traits, dans ses membres et dans une partie de ses vêtements, mais, saint George me soit en aide ! très masculine dans le reste de son costume, dans ses goûts et dans ses occupations. — Tu veux parler, sans doute, de l’épouse guerrière de ce Franc à la main de fer, qui a mis, hier au soir, en pièces, d’un seul coup de poing, le lion d’or de Salomon ? Par saint George, le moins qui puisse revenir d’un semblable amour, ce sont des os brisés ! — Ceci n’est pas tout-à-fait aussi improbable que de voir arriver de Syracuse, en un instant, l’oreille de Denys ; mais il est présomptueux en raison de l’influence que sa bonne mine supposée lui a obtenue parmi les dames grecques. — Il est trop présomptueux, je suppose, pour faire la part convenable de sa situation comme césar, et la perspective qu’il a d’être empereur. — En attendant, je lui ai promis une entrevue avec sa Bradamante, qui pourrait bien récompenser ses tendres épithètes de zoé hai psuchê[1], en séparant son âme amoureuse de sa personne sans rivale. — Et en attendant aussi, tu obtiens, je pense, les ordres et les pouvoirs que peut donner le césar pour le succès de notre complot. — Très certainement : c’est une opportunité à ne pas perdre, cet accès d’amour ou de folie l’a aveuglé ; et, sans trop attirer l’attention sur les progrès de notre complot, nous pouvons ainsi en sûreté conduire les choses comme nous l’entendrons, sans occasionner de remarques malveillantes ; et quoique je sente qu’en agissant ainsi je ne tiens pas une conduite très appropriée à mon âge et à

  1. Ma vie et mon âme. a. m.