Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/190

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du ciel qui devait, en interrompant son sommeil enchanté, devenir maître de sa personne, de son royaume et de ses trésors sans nombre ; et (Votre Majesté impériale me croira-t-elle ?) j’eus de la peine à amener le guerrier à me prêter l’oreille et à prendre aucun intérêt à ma légende, jusqu’à ce que je l’eusse assuré qu’il aurait à combattre un dragon ailé en comparaison duquel le plus grand des dragons mentionnés dans les romans des Francs n’aurait l’air que d’une guêpe ! — Et cela remua-t-il un peu notre héros ? — À tel point, que si je n’avais malheureusement éveillé la jalousie de sa Penthésilée par la vivacité de ma description, il eût oublié la croisade et tout ce qui y avait rapport, pour aller à la recherche de Zulichium et de sa souveraine assoupie. — Ainsi donc, dit l’empereur, nous avons dans notre empire (et tu nous fais sentir cet avantage !) d’innombrables faiseurs de contes qui ne sont pas doués le moins du monde de ce noble mépris de l’or qui est propre aux Francs, mais qui, pour une couple de besans, mentiront avec le diable, et le battront par dessus le marché, si de cette manière nous pouvons, comme disent les marins, gagner l’avantage du vent sur les Francs. — La prudence, reprit Agelastès, est au plus haut point nécessaire. Faire tout simplement un mensonge n’est pas chose très difficile ; ce n’est que s’écarter de la vérité, ce qui revient à peu près à manquer un but en tirant de l’arc, dans lequel cas tout l’horizon, un seul point excepté, est également propre à remplir les vues de l’archer ; mais pour faire marcher le Franc comme on le désire, il faut avoir une parfaite connaissance de son caractère et de son humeur, il faut beaucoup de prudence et de présence d’esprit, et la plus grande flexibilité à passer d’un sujet à un autre. Si je n’eusse moi-même été un peu alerte, j’aurais pu subir le châtiment d’avoir fait fausse route pour le service de Votre Majesté, en étant jeté dans ma propre cascade par la virago que j’avais offensée. — Une vraie Thalestris ! je ferai attention aux offenses que je pourrais lui faire. — Si je pouvais parler et vivre, le césar Nicéphore Brienne ferait mieux d’adopter la même précaution. — Nicéphore doit arranger cela avec notre fille. Je lui ai toujours dit qu’elle donne à son mari par trop de cette histoire, dont une page ou deux seraient un rafraîchissement suffisant. Mais d’après nous-même nous sommes forcé d’avouer, Agelastès, que ne rien entendre autre chose tous les soirs de la vie lasserait la patience d’un saint !… Oublie, bon Agelastès, que tu m’aies entendu dire rien de semblable… Et garde-toi particulièrement de te le rappeler