Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyen de jeter tout le blâme de l’absence des articles qu’il lui fut impossible de procurer.

« Je prends à témoin Homère, Virgile le poète accompli, et Horace, cet heureux épicurien, que, quelque simple et indigne que soit ce banquet, les dispositions écrites que j’avais remises à cet esclave malheureux lui donnaient pour instruction de procurer tous les ingrédients nécessaires pour communiquer à chaque plat sa saveur particulière… Vieille carcasse de mauvais augure que tu es, pourquoi as-tu placé les cornichons si loin de la tête de sanglier ? Et pourquoi ces superbes congres ne sont-ils pas entourés d’une quantité convenable de fenouil ? Le divorce qui existe entre les huîtres et le vin de Chio, dans une si auguste compagnie, en mériterait un autre entre ton âme et ton corps, ou, pour le moins, un séjour pour le reste de tes jours dans le pistrinum[1]. » Tandis que le philosophe se répandait ainsi en menaces et en malédictions contre son esclave, les étrangers étaient à même de comparer ce petit torrent d’éloquence domestique que les mœurs du temps ne considéraient point comme de mauvais ton, avec les témoignages d’adulation encore plus vifs et plus prolongés qu’il donnait à ses hôtes. Ils se mélangeaient comme l’huile avec le vinaigre, et les fruits confits dans cet acide, dont Diogène composait une sauce. Ainsi le comte et la comtesse eurent occasion de juger du bien-être et de la félicité réservées à ces esclaves, que le tout puissant Jupiter, dans la plénitude de sa compassion pour leur état, et en récompense de leurs bonnes mœurs, avait destinés au service d’un philosophe. La part qu’ils prirent eux-mêmes au banquet se termina avec un degré de rapidité qui surprit non seulement leur hôte, mais même les convives de la famille impériale.

Le comte se servit négligemment d’un plat qui se trouvait près de lui, et but une coupe de vin sans s’informer si ce vin était celui que les Grecs se faisaient un cas de conscience de prendre particulièrement avec cette espèce de mets ; il déclara avoir mangé suffisamment. Les prières obligeantes de sa voisine Anne Comnène ne purent le décider à toucher aux autres plats qu’on lui représentait comme rares ou délicats. Brenhilda mangea encore plus modérément du mets qui paraissait le plus simplement préparé et qui se trouvait le plus près d’elle sur la table, et but une coupe d’eau limpide qu’elle rougit légèrement de vin sur les instances pressantes du césar. Ils s’abstinrent ensuite de prendre part à la suite du ban-

  1. C’est-à-dire, de te faire condamner à la meule. a. m.