Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/158

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prie, que je vous sacrifie le plus bel endroit de ma narration. — Brenhilda, dit le comte, je suis étonné que vous songiez à interrompre un récit qui jusqu’à présent a été fort animé ; quelques mots en plus ou en moins peuvent être beaucoup plus nécessaires à l’intelligence de l’histoire que dangereux par les sentiments qu’ils pourraient nous inspirer. — Comme il vous plaira, » répondit la comtesse en se rasseyant avec nonchalance ; « mais il me semble que le digne père prolonge sa narration au point de la rendre plus futile qu’intéressante. — Brenhilda, reprit le comte, c’est la première fois que je remarque en vous une faiblesse de femme. — Je puis dire aussi, comte Robert, répliqua Brenhilda, que c’est la première fois que vous me laissez voir l’inconstance de votre sexe. — Dieu et déesse ! s’écria le philosophe, a-t-on jamais vu querelle plus absurdement motivée ! La comtesse est jalouse d’une femme que son mari ne verra probablement jamais, et il est trop vraisemblable que la princesse de Zulichium n’existera pas plus désormais pour le monde que si la tombe s’était refermée sur elle. — Continuez, dit le comte Robert de Paris. Si le noble Artavan de Hautlieu n’a pas accompli l’affranchissement de la princesse de Zulichium, je fais vœu à Notre-Dame des Lances rompues… — Souvenez-vous, interrompit son épouse, que vous avez déjà fait vœu d’affranchir le saint sépulcre du Christ, et il me semble que c’est un engagement devant lequel doivent céder tous ceux d’une nature plus légère. — Bien, madame… bien, » dit Robert, assez peu satisfait de cette interruption. « Je ne m’engagerai, vous pouvez en être sûre, dans aucune entreprise qui puisse me détourner de la conquête du saint sépulcre, que nous sommes tous d’abord tenus d’accomplir. — Hélas ! reprit Agelastès, la distance de Zulichium à la route la plus droite du saint sépulcre est si courte, que… — Digne père, interrompit encore la comtesse, nous allons d’abord, s’il vous plaît, écouter la fin de votre histoire, et ensuite nous verrons ce que nous aurons à faire. Nous autres dames normandes, descendantes des anciens Germains, nous avons, aussi bien que nos seigneurs, voix délibérative au conseil qui précède la bataille, et notre assistance dans le combat n’a jamais été regardée comme inutile. »

Le ton qu’elle prit en prononçant ces mots fit indirectement comprendre au philosophe qu’il ne devait point s’attendre à exercer, aussi aisément qu’il l’avait supposé, de l’influence sur le chevalier normand, tant que la noble dame serait auprès de son époux. Il mit donc son ton oratoire sur une clef un peu plus basse, et évita