Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sage dans ce qu’on appelle très convenablement le paradis des fous. Le sage voulut tenter des prouesses de jeune homme, que sa vieillesse rendait ridicules ; il pouvait commander aux éléments, mais les choses ordinaires de la vie étaient hors de sa puissance. Lors donc qu’il exerçait son pouvoir magique, les montagnes s’abaissaient et les mers se retiraient ; mais quand le philosophe voulait, en galant chevalier, danser avec la princesse de Zulichium, les jeunes gens et les jeunes filles détournaient la tête pour qu’on ne vît pas combien ils avaient envie de rire.

« Malheureusement si les vieillards, et même les plus sages, s’oublient quelquefois, les jeunes gens s’unissent tout naturellement pour épier, ridiculiser et railler leurs faibles. La princesse jetait souvent des regards sur les personnes de sa suite, pour leur faire comprendre la nature de l’amusement qu’elle trouvait dans les attentions de son formidable amant. À la longue, elle devint moins prudente, et le vieillard surprit un coup d’œil qui lui apprit combien l’objet de ses affections l’avait toujours regardé avec dédain et pitié. Il n’est pas ici-bas de passion plus barbare que l’amour changé en haine ; et tout en regrettant amèrement ce qu’il avait fait, le sage conçut néanmoins un vif ressentiment de la conduite folle et légère de la princesse qui l’avait trompé.

« Si cependant il était enflammé de courroux, il possédait l’art de le cacher. Pas un mot, pas un regard n’exprimait son cruel désappointement. Une ombre de mélancolie, ou plutôt de chagrin, répandue sur son front, annonçait seule la tempête prochaine. La princesse commença de s’alarmer ; elle était d’un naturel extrêmement bon, et si elle avait contribué pour sa part à rendre le vieillard ridicule, c’était moins par suite d’une préméditation maligne que par un pur effet du hasard. Elle vit la peine qu’il éprouvait, et crut l’apaiser en allant à lui lorsqu’on fut sur le point de se retirer, et en lui souhaitant avec intérêt le bonsoir.

« Vous dites bien, ma fille, reprit le sage, bonsoir… Mais de tous ceux qui m’entendent, qui dira bonjour ? »

« Ces mots furent peu remarqués ; seulement deux ou trois personnes, qui connaissaient le sage de réputation, s’enfuirent de l’île la nuit même, et ce fut par leur récit qu’on apprit les circonstances qui accompagnèrent les effets de ce charme extraordinaire sur ceux qui restèrent dans le château. Un sommeil, véritable sommeil de mort, s’empara d’eux pour ne plus les quitter. La plupart des habitants abandonnèrent l’Île ; ceux qui demeurèrent n’eurent