Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/145

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ni moine ni femme, se seraient gravés dans votre cœur, aussi bien que les mots de la langue dans votre mémoire. — Paix, sire comte ! » dit Bohémond, qui demeurait près de l’empereur pour détourner une querelle si imminente. « Vous êtes tenu de répondre à l’empereur avec civilité ; et ceux qui sont impatients de se battre ne manqueront pas d’infidèles pour satisfaire leur impatience. Il vous a seulement demandé votre nom et votre lignage, et vous avez moins de raisons de les cacher que personne au monde. — J’ignore quel intérêt y peut prendre ce prince ou cet empereur, comme vous l’appelez ; mais tout le compte que je puis rendre de moi-même, le voici : Au milieu d’une des vastes forêts qui occupent le centre de la France, mon pays natal, il est une chapelle tellement enfoncée dans la terre, qu’il semble qu’elle soit décrépite de vieillesse. L’image de la sainte Vierge, qui décore l’autel, est appelée par tout le monde Notre-Dame des Lances rompues, et les environs sont regardés dans tout le royaume comme très célèbres pour les aventures militaires. Quatre grandes routes, correspondant chacune à un des points cardinaux, se croisent devant la principale porte de la chapelle ; et de temps à autre, lorsqu’un bon chevalier passe en cet endroit, il s’arrête dans la chapelle pour y faire ses dévotions, après avoir trois fois sonné du cor, de manière à ébranler et à faire retentir les frênes et les chênes de la forêt. Il s’agenouille ensuite pour dire sa prière, et il arrive rarement qu’après avoir entendu la messe de Notre-Dame des Lances rompues, il ne trouve point quelque aventureux chevalier prêt à satisfaire son désir de combattre. J’ai tenu ce poste pendant un mois et plus contre tous venants, et chacun m’a remercié de la noble manière dont je me suis conduit à son égard, à l’exception d’un seul qui eut le malheur de se casser le cou en tombant de cheval, et d’un autre qui fut si bien atteint, que la lance lui sortait du dos de la longueur d’une aune, toute dégouttante de sang. Sauf ces accidents qu’on ne peut pas toujours éviter, mes adversaires me quittaient toujours en reconnaissant la politesse dont j’avais usé à leur égard. — Je conçois, sire chevalier, dit l’empereur, qu’un guerrier de votre taille, animé du courage qui vous enflamme, doive trouver peu d’égaux, même parmi vos aventureux compatriotes, et moins encore parmi des hommes qui savent que risquer sa vie dans des querelles déraisonnables, c’est se jouer comme un enfant du don de la Providence. — Libre à vous de penser ainsi, » répliqua le Franc d’un ton un peu méprisant ; « néanmoins je vous assure que, si vous croyez que nos combats se