Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/144

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ses yeux, rien qui annonçât une insulte préméditée ; il fut même tenté de croire que ce qui venait d’arriver si contrairement à l’étiquette et au cérémonial de la cour grecque n’était ni un affront fait avec intention, ni un prétexte pour occasionner une querelle. Ce fut donc avec une espèce d’aisance qu’il adressa ainsi la parole à l’étranger : « Nous ne savons quel honorable nom vous donner ; mais nous avons appris du comte Baudouin que nous avions l’honneur d’avoir en notre présence un des plus braves chevaliers que le ressentiment des outrages faits à la terre sainte amène ici pour passer ensuite en Palestine, afin de l’arracher à l’esclavage. — Si c’est mon nom que vous me demandez, répliqua le chevalier européen, le premier venu de tous ces pèlerins peut aisément vous satisfaire, et de meilleure grâce que je ne le pourrais moi-même. Nous avons coutume de dire dans notre pays qu’en prononçant un nom hors de propos, on a empêché bien des querelles de se vider, parce que des hommes qui auraient combattu avec la crainte de Dieu devant les yeux, sont forcés, quand leurs noms sont proclamés, de reconnaître entre eux une parenté spirituelle qui les unit, comme parrains, filleuls et compères, ou quelque autre lien d’amitié également sacré ; tandis que, s’ils s’étaient battus d’abord, et qu’ils eussent dit leurs noms ensuite, ils auraient pu avoir quelque assurance réciproque de leur valeur, et regarder la parenté qui les unit comme un bonheur pour l’un et pour l’autre. — Encore, dit l’empereur, faudrait-il que je susse, ce me semble, si vous qui paraissez réclamer un droit de préséance au milieu de cette multitude extraordinaire de chevaliers, vous devez être désigné par le titre de roi ou de prince ? — Comment dites-vous cela ? » demanda le Franc, tandis que son front se couvrait d’un nuage ; « pensez-vous que je vous aie insulté en avançant ainsi vers vos escadrons ? »

Alexis se hâta de répondre qu’il n’avait pas la pensée d’imputer au comte l’intention d’un affront ou d’une offense ; observant que, dans la position critique de l’empire, ce n’était pas le moment pour celui qui tenait le gouvernail des affaires de s’engager sans nécessité dans de futiles querelles.

Le chevalier français l’écouta, et répondit sèchement : « Si tels sont vos sentiments, je m’étonne que vous ayez jamais résidé assez long-temps dans un pays où la langue française est en usage, pour avoir appris à parler comme vous le faites. J’aurais cru que quelques uns des nobles sentiments de cette nation, puisque vous n’êtes