Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/143

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à la persuasion, à quitter le trône où il s’était placé si hardiment.

« Comment, noble comte de Paris ! s’écria Bohémond, y a-t-il quelqu’un dans cette grande assemblée qui puisse souffrir patiemment que votre nom, illustré par tant de valeur, soit aujourd’hui cité dans une sotte querelle avec des mercenaires dont le plus grand mérite est de porter une hache à gages dans les rangs des gardes de l’empereur ? Fi ! fi donc !… ne permettez pas, pour l’honneur de la chevalerie normande, qu’il en soit ainsi. — Je ne sais pas, » répliqua le croisé en se levant avec répugnance… « Je ne suis pas très exigeant sur le degré de noblesse de mon adversaire lorsqu’il se comporte en homme courageux et déterminé. Je vous dis que je suis accommodant, comte Bohémond ; et Turc, Tartare ou Anglo-Saxon, qui n’échappa aux chaînes des Normands que pour se faire esclave des Grecs, est également bien venu à aiguiser sa lance contre mon armure, s’il désire s’acquitter de cet emploi honorable. «

L’empereur avait entendu tout ceci avec une indignation mêlée de crainte ; car il s’imaginait que ses plans de politique allaient être soudain renversés par un complot prémédité pour lui faire un affront personnel, et sans doute pour attaquer sa personne. Il allait crier aux armes ! lorsque, jetant les yeux sur le flanc droit des croisés, il vit que tout y était resté tranquille depuis que le baron français en était parti. Il résolut donc aussitôt de ne pas faire attention à cette insulte, et de la regarder comme une des grosses plaisanteries des Francs, puisque aucun mouvement n’indiquait qu’il y eût un véritable projet d’attaque.

Arrêtant, avec la rapidité de la pensée, la conduite qu’il avait à tenir, il rentra sous son dais, et se tint debout devant le trône, dont cependant il aima mieux ne pas reprendre tout de suite possession, dans la crainte de donner à l’insolent étranger un prétexte de venir le lui disputer.

« Quel est ce hardi vavasseur[1], dit-il au comte Baudouin, que j’aurais dû, à ce qu’il semble, d’après son air de dignité, recevoir assis sur mon trône, et qui juge bon de revendiquer ainsi les prérogatives de son rang ? — Il passe pour un des plus braves de notre armée, répondit Baudouin, quoique les braves y soient aussi nombreux que les grains de sable au bord de la mer. Il vous dira lui-même son nom et son rang. »

Alexis regarda le vavasseur. Il ne vit rien dans ses traits imposants et réguliers, animés par le vif enthousiasme qui brillait dans

  1. Vassal, qui a lui-même des vassaux.