Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/135

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viduellement avec un extrême honneur, et leurs chefs étaient accablés d’égards et de faveurs ; de temps à autre, ceux de leurs détachements qui cherchaient à gagner la capitale par des chemins de traverse et des routes détournées, étaient arrêtés et taillés en pièces par des troupes armées à la légère qui passaient aisément aux yeux de leurs adversaires ignorants pour des Turcs, des Scythes, et qui en étaient quelquefois réellement, mais au service de l’empereur grec. Souvent aussi il arrivait que, tandis que les plus puissants chefs de la croisade étaient régalés par l’empereur et ses ministres des plus somptueux festins, tandis qu’on apaisait leur soif avec des vins rafraîchis dans la glace, leurs soldats étaient retenus à certaine distance : on leur fournissait des farines corrompues, des provisions gâtées et de mauvaise eau. Aussi contractèrent-ils des maladies, et un grand nombre d’entre eux moururent sans avoir même mis le pied en terre sainte, lorsque, pour la conquérir, ils avaient quitté la paix, le repos et leur pays natal. Ces agressions ne pouvaient manquer d’exciter des plaintes. La plupart des chefs croisés, accusant leurs alliés de mauvaise foi, attribuèrent les pertes que souffraient leurs armées aux maux que leur infligeaient à dessein les Grecs, et, en plus d’une occasion, les deux nations se trouvèrent disposées de telle sorte, qu’une guerre générale semblait inévitable.

Toutefois, Alexis, quoique obligé de recourir à toutes sortes de ruses, gardait sa position et faisait toujours sa paix avec les plus puissants chefs, sous un prétexte ou sous un autre. Les pertes réelles que le glaive faisait éprouver aux croisés, il s’en excusait en disant qu’ils avaient attaqué les premiers ; si le guide les égarait, c’était l’effet du hasard ou de leur témérité ; les maladies que leur causait la mauvaise qualité des provisions, il les attribuait à l’avidité des Francs pour les fruits verts et le vin nouveau : bref, il n’y avait pas de désastre, de quelque genre qu’il pût être, qui arrivât aux malheureux pèlerins, sans que l’empereur fût prêt à prouver que telle était la conséquence naturelle de leur caractère violent, de leur conduite téméraire, ou de leur précipitation hostile.

Les chefs, qui connaissaient leurs forces, n’auraient probablement pas souffert avec tant de résignation les insultes d’une puissance si inférieure à la leur, s’ils ne se fussent fait des idées extravagantes des richesses de l’empire d’Orient, qu’Alexis semblait disposé à partager avec eux avec un excès de bonté aussi nouveau