Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/133

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craint d’être vus dans la compagnie l’un de l’autre, ils quittèrent le lieu solitaire de leur rendez-vous par des chemins différents. Le Varangien Hereward reçut bientôt avis de son supérieur lui-même, qu’il n’aurait pas à l’accompagner le soir, comme d’abord il en avait reçu l’ordre.

Achille se tut alors un moment, puis ajouta : « Tu as sur les lèvres quelque chose que tu voudrais me dire, et que néanmoins tu hésites à exprimer. — Voici seulement ce que c’est, répondit le soldat : J’ai eu une entrevue avec l’homme qu’on appelle Agelastès ; et il me semble si différent de ce qu’il me paraissait la dernière fois que nous causions de lui, que je ne puis m’empêcher de vous redire ce que j’ai vu. Ce n’est pas un plaisant insignifiant, dont le seul but est de faire rire à ses dépens ou à ceux des autres ; c’est un homme à profondes pensées et à grands projets, qui, pour telle ou telle autre raison, cherche à se concilier des amis et à se faire un parti. Votre propre sagesse vous apprendra à vous garder de lui. — Tu es un honnête garçon, mon pauvre Hereward, » dit Achille Tatius avec une affectation de bonté méprisante. « Les gens tels qu’Agelastès lancent souvent leurs plus piquantes plaisanteries sous les formes les plus graves et les plus sévères : ils prétendront à une puissance illimitée sur les éléments et sur les esprits élémentaires, ils auront soin de se procurer des noms et des anecdotes connues de celui qu’ils veulent plaisanter ; et la personne qui les écoute ne fait, suivant l’expression du divin Homère, que s’exposer à un torrent de rires inextinguibles. Je l’ai souvent vu choisir la plus sotte et la plus ignorante des personnes de la compagnie, et lui soutenir, pour amuser les autres, qu’il peut faire paraître les absents, rapprocher les gens éloignés, et donner aux morts eux-mêmes la faculté de briser les entraves de la tombe. Prends garde, Hereward, que ces artifices ne fassent tort à la réputation d’un de mes braves Varangiens. — Cela n’est pas à craindre. On ne me trouvera pas souvent dans la société de cet homme. S’il plaisante sur un sujet dont il m’a lâché quelques mots, il n’est que trop vraisemblable que je lui apprendrai d’une rude manière à parler sérieusement. Et s’il prétend réellement à la puissance mystique, nous, comme le croyait mon grand-père Kenelm, en l’écoutant, nous ferions insulte aux morts dont le nom sortirait de la bouche d’un devin ou d’un enchanteur impie. Je n’approcherai donc plus de cet Agelastès, qu’il soit sorcier ou imposteur. — Vous ne m’entendez pas ; le sens de mes paroles vous échappe : Agelastès est un homme qui peut