Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/132

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aucun homme de race française. On ne parla ni des vieilles inimitiés ni des anciennes guerres ; on ne vit pas en Bohémond l’ancien usurpateur d’Antioche, le guerrier qui empiétait sur l’empire ; mais des actions de grâces furent de toutes part rendues au ciel, qui avait envoyé un fidèle allié au secours de l’empereur dans un danger si imminent — Et que dit Bohémond ? — Peu de chose, ou rien plutôt, avant qu’une somme d’or considérable lui eût été abandonnée, comme je l’ai appris par l’esclave du palais Naries. On convint ensuite de lui céder d’immenses provinces et de lui accorder d’autres avantages, à condition qu’il agirait en cette occasion comme l’ami dévoué de l’empire et du souverain. Telle fut la munificence à l’égard du barbare avide, qu’on le fit entrer comme par hasard dans une chambre du palais où l’on avait eu soin d’étaler en grande quantité des étoffes de soie, des joyaux d’or et d’argent, et d’autres objets de grande valeur. Le Franc rapace ne put retenir ses cris d’admiration, et on lui assura que tous les trésors contenus dans la chambre lui appartiendraient, pourvu qu’il consentît à voir dans ce présent une preuve de l’affection et de la sincérité de son allié impérial… En conséquence, toutes ces richesses furent envoyées à la tente du chef normand. Par de telles façons d’agir, l’empereur se rendra maître de Bohémond, corps et âme ; car les Francs eux-mêmes disent qu’il est étrange de voir cet homme d’un courage intrépide et d’une haute ambition tellement affecté néanmoins de cupidité, vice qu’ils appellent bas et contre nature.

« Bohémond est donc à l’empereur à la vie et à la mort… jusqu’à ce que le souvenir de la munificence impériale soit effacé par une plus grande générosité. Alexis, fier d’avoir su se concilier un chef de tant d’importance, ne doutera point que ses conseils ne décident la plupart des autres croisés, et même Godefroy de Bouillon, à prêter à l’empereur des Grecs un serment de fidélité et de soumission auquel le dernier noble d’entre eux, sans le but sacré de la guerre qu’ils ont entreprise, ne se soumettrait pas, fût-ce pour devenir possesseur d’une province. Restons-en donc là : quelque jour nous apprendrons ce que nous aurons à faire. Si nous étions plus tôt découverts, notre ruine serait certaine. — Ne nous reverrons-nous donc pas ce soir ? — Non, à moins que nous ne soyons invités à cette sotte comédie, à ces lectures que vous savez ; et alors nous nous verrons comme des joujoux dans la main d’une femme ridicule, enfant gâtée d’un père faible. »

Tatius prit alors congé du philosophe ; et, comme s’ils eussent