Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/120

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intérêt particulier. L’attention d’Hereward se portant à la fin sur cet individu, il souhaita d’échapper à ses observations ; et il employa le soin qu’il avait pris d’abord pour éviter la compagnie en général, à se débarrasser de ce témoin qui, quoique à distance, semblait épier ses démarches. Néanmoins, quoique, en gagnant un autre point, il eût, pendant quelques minutes, perdu le nègre de vue, il ne tarda pas à l’apercevoir de nouveau à une distance trop grande pour un compagnon de promenade, mais assez rapprochée pour remplir le rôle d’un espion. Irrité de cette obstination, le Varangien changea subitement de direction, et choisissant un lieu où l’on n’apercevait personne que l’objet de son ressentiment, il marcha tout-à-coup droit à l’esclave et lui demanda pourquoi et par l’ordre de qui il avait l’audace de suivre ses pas. Le nègre répondit dans un aussi mauvais jargon que celui dans lequel on lui adressait la parole, quoique d’une espèce différente, « qu’il avait l’ordre de remarquer où irait le Varangien. — L’ordre de qui ? demanda Hereward. — De mon maître et du vôtre, » répondit hardiment le nègre.

— Que dis-tu, misérable infidèle ! » s’écria le soldat courroucé ; « depuis quand sommes-nous camarades de servitude, et quel est celui que tu oses appeler mon maître ? — Un homme qui est maître du monde, puisqu’il commande à ses passions. — J’aurai peine à commander aux miennes, si tu réponds à mes pressantes questions par des subtilités philosophiques. Encore un coup, que me veux-tu, et pourquoi as-tu la hardiesse d’épier mes démarches ? — Je t’ai déjà dit que je suis les ordres de mon maître. — Mais je veux savoir quel est ton maître. — Il te le dira lui-même ; il ne confie point à un pauvre esclave comme moi le but des commissions qu’il me donne. — Il t’a laissé une langue cependant, que quelques uns de tes compatriotes seraient, je pense, ravis de posséder. Ne me force point à te l’arracher en me refusant les éclaircissements que j’ai droit d’exiger. »

La figure du nègre semblait annoncer qu’il cherchait quelque nouvelle tournure évasive, lorsque Hereward y coupa court en levant sa hache d’armes. « Ne me mets pas dans la nécessité, dit-il, de me déshonorer en te frappant avec cette arme, destinée à un usage plus noble. — Cela m’est impossible, valeureux guerrier, » dit le nègre, mettant de côté le ton impudent et goguenard qu’il avait pris jusqu’alors, et laissant percer quelque crainte personnelle. « Si vous faites mourir le pauvre esclave sous les coups, vous