Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/100

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Mais pour en revenir encore à cet écrit contenant les noms des nations qui approchent de notre frontière, il s’en présente plus d’un que notre vieille mémoire devrait nous rendre familiers, quoique nos souvenirs soient éloignés et confus. Il nous convient de savoir quels sont ces hommes, pour pouvoir profiter des dissensions et des querelles qui, étant alimentées et excitées parmi eux, peuvent les détourner heureusement de la poursuite de cette entreprise extraordinaire pour laquelle ils se trouvent maintenant unis. Voici, par exemple, un Robert à qui l’on donne le titre de duc de Normandie, qui commande une brave troupe de comtes, qualification que nous ne connaissons que trop ; de earls[1], mot qui nous est totalement inconnu, mais qui est probablement quelque titre d’honneur chez ces barbares… et de knights, dont les noms sont tirés, nous pensons, de la langue française, et aussi d’un autre jargon que nous ne sommes pas nous-même en état de comprendre. C’est à vous, très révérend et très savant patriarche, que nous pouvons le plus convenablement nous adresser pour avoir des renseignements à ce sujet. — Les devoirs de mon ministère, répondit le patriarche Zozime, m’ont empêché, depuis l’âge mûr, de me livrer à l’étude de l’histoire des royaumes éloignés ; mais le sage Agelastès, qui a lu autant de volumes qu’il, en faudrait pour remplir les rayons de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, est sans aucun doute à même de répondre aux questions de Votre Majesté impériale. »

Agelastès se redressa sur les jambes complaisantes qui lui avaient valu le surnom d’Éléphant, et commença une réponse aux demandes de l’empereur, plus remarquable par la facilité d’élocution que par l’exactitude. « J’ai lu, dit-il, dans ce brillant miroir qui réfléchit l’époque où vécurent nos pères, l’ouvrage du savant Procope, que le peuple des Normands et le peuple des Angles sont au fond une même race, et que le pays que l’on appelle Normandie est en réalité un district de la Gaule. Au delà, et presque en face, mais séparé par un bras de mer, est situé un affreux pays, sur lequel planent toujours les nuages sombres et les tempêtes, et qui est bien connu de ses voisins du continent pour être le séjour où les âmes des morts sont envoyées après cette vie. Sur un côté du détroit demeurent quelques pêcheurs, hommes qui possèdent une étrange charte et de singuliers privilèges, en considération de leur travail ; ce sont des bateliers vivants, remplissant les fonctions du païen Caron, qui transportent les âmes des morts dans l’île où elles font

  1. C’est le titre de comte anglais, a. m.