Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nage de plus près, ils se sentirent tous deux enflammés de l’envie ou de venger leurs frères ou de ne pas leur survivre. Ils s’attaquèrent l’un l’autre furieusement avec les lances auxquelles étaient attachés les étendards, se joignirent après avoir échangé plusieurs passes terribles, puis se prirent corps à corps, tenant toujours leurs bannières, jusqu’à ce qu’enfin, dans l’ardeur de la lutte, ils tombassent dans le Tay où ils furent trouvés, après le combat, morts et leurs bras entrelacés les uns dans les autres. La fureur de la vengeance, la frénésie de la rage et du désespoir enflammèrent ensuite les ménestrels. Les deux joueurs de cornemuse qui, pendant l’action, avaient lutté d’efforts pour enflammer l’ardeur de leurs frères, voyaient alors que le combat allait finir faute de combattants. Ils jetèrent au loin leurs instruments, s’élancèrent en désespérés l’un sur l’autre, avec leurs poignards, et comme chacun d’eux était plus empressé à exterminer son adversaire qu’à se défendre, le joueur du clan de Quhele fut tué du premier coup, et celui du clan de Chattan mortellement blessé. Ce dernier pourtant ramassa sa cornemuse, et le pibrock du clan anima encore de ses sons expirants les guerriers de Chattan, tant que le ménestrel mourant eut un souffle à y introduire. L’instrument dont il se servait, ou du moins la partie qu’on appelle l’anche, est conservé dans la famille d’un chef montagnard d’aujourd’hui et y jouit d’une grande considération sous le nom de Féderan-Dhu, ou l’Anche Noire[1].

Cependant dans cette dernière charge, le jeune Tormot, dévoué comme ses frères, par son père Torquil, à la protection de son chef, avait été mortellement blessé par l’épée impitoyable de l’armurier. Les deux autres guerriers qui restaient du clan de Quhele étaient aussi tombés, et Torquil avec son fils nourricier et Tormot blessé, contraints de battre en retraite devant huit ou dix combattants du clan Chattan, firent halte sur le bord de la rivière, tandis que leurs ennemis se hâtaient de les poursuivre aussi rapidement que leurs blessures le leur permettaient. Torquil arrivait justement à l’endroit où il avait résolu de soutenir

  1. Aunie Mac-Pherson, chef actuel de son clan, est en possession de cet ancien trophée, qui prouve la présence de ces montagnards au Nord-Inch. La tradition a conservé une autre version : selon celle-ci, un ménestrel aérien apparut au-dessus des guerriers du clan Chattan, et après avoir joué quelques airs sauvages, il laissa l’instrument échapper de ses mains. Comme il était de verre, il se cassa dans cette chute, à l’exception de l’anche seule, qui était comme à l’ordinaire du lignum vitæ. Le joueur de cornemuse des Mac-Pherson s’empara de l’anche magique, et on en considère encore la possession comme assurant la prospérité du clan. w. s.