Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sobéissance ; une trahison envers notre royaume de joie et les statuts de la Calebasse. »

Ramorny leva la tête, fixa sur le prince un œil hagard, et fit signe à Éviot de lui donner à boire ; une large coupe de tisane fut apportée par le page. Le malade l’avala avec une avidité qui faisait trembler la coupe dans sa main. Il se servit ensuite, à plusieurs reprises, de l’essence stimulante recommandée par l’apothicaire, et parut recouvrer ses sens.

« Permettez-moi de vous tâter le pouls, mon cher Ramorny, reprit le prince ; je connais quelque chose à ce métier-là… Comment ? vous me présentez la main gauche, sir John ?… Ceci n’est conforme ni aux règles de la médecine ni à celles de la courtoisie. — La droite a fait son dernier acte au service de Votre Altesse, » murmura le patient d’une voix basse et entrecoupée. — Que voulez-vous dire ? J’ai été informé qu’un de vos gens, Black Quentin, a perdu une main, mais il peut voler avec l’autre assez pour gagner les galères : sa destinée n’en sera donc pas beaucoup changée. — Ce n’est pas cet homme qui a perdu la main au service de Votre Grâce… c’est moi… John de Ramorny. — Vous ! vous plaisantez, ou l’opium que vous avez pris trouble votre raison. — Quand le jus de tous les pavots d’Égypte serait mêlé dans une même potion, il perdrait son influence sur moi quand je regarde ceci : » il tira son bras droit de dessous les couvertures de son lit, et, l’étendant vers le prince, enveloppé dans ses appareils… « Si ces linges étaient enlevés, dit-il, Votre Altesse verrait qu’un tronc sanglant est tout ce qui reste d’une main jadis toujours prête à tirer l’épée au moindre signe de Votre Grâce. »

Rothsay recula d’horreur. « Ceci mérite vengeance, dit-il. — La vengeance est déjà commencée, répondit Ramorny ; il me semble que j’ai vu Bonthron il n’y a qu’un instant, ou le rêve infernal dont mon esprit était troublé au moment de mon réveil avait-il évoqué cette image ? Éviot, appelez le mécréant… si toutefois il n’est pas trop ivre pour paraître devant moi. »

Éviot sortit, et revint avec Bonthron, qu’il avait sauvé d’une seconde calebasse de vin ; le misérable avait avalé la première sans qu’aucun changement notable parût dans son maintien.

« Éviot, dit le prince, ne laisse pas cette brute m’approcher ; à son aspect mon âme est saisie d’horreur et de dégoût. Il y a dans ses regards quelque chose d’antipathique à ma nature, et je sens une répulsion instinctive semblable à celle qu’on éprouve en face