Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/219

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les maladies du corps et tous les maux de l’esprit. Approchez-la, dis-je, que nous voyions la coupe sacrée qui contient cette précieuse liqueur. »

Le prince entra donc dans la maison, et connaissant bien l’intérieur, il monta les escaliers, suivi d’Éviot qui demandait en vain du silence, et de toute la bande joyeuse ; puis il s’élança dans la chambre du propriétaire malade.

Celui qui a éprouvé la sensation causée par un soporifique amenant le sommeil en dépit d’affreuses souffrances, et qui en a été violemment tiré par le bruit et le tumulte, celui-là peut seul imaginer l’alarme et la confusion d’esprit où se trouva John Ramorny, et les atroces douleurs, tant physiques que morales, qui, en lui, réagissaient les unes sur les autres. Si l’on ajoute à cela que le malade se réveillait avec la conscience d’avoir ordonné un crime qui devait s’exécuter à ce même moment, on conviendra que l’éternel sommeil lui eût semblé préférable à un si affreux réveil. Le gémissement qu’il poussa, premier symptôme de la sensibilité qu’il recouvrait, eut quelque chose de si terrible, que les tapageurs effrayés se turent un instant. Ramorny, à demi soulevé sur son lit, parcourait des yeux l’appartement rempli de figures bizarres que le trouble de ses sens lui faisait voir encore plus bizarres, tandis qu’il se disait à lui-même :

« Il en est donc ainsi, et la légende est vraie. Voici les démons, et je suis condamné pour toujours ! Le feu n’est pas externe, mais je le sens… je sens mon cœur brûlant comme si la fournaise sept fois chauffée le travaillait intérieurement. »

Tandis qu’il promenait d’affreux regards autour de lui et tâchait de retrouver quelque souvenir, Éviot s’approcha du prince, et tombant à genoux le supplia de faire évacuer l’appartement.

« Cela, disait-il, coûtera la vie à mon maître. — N’aie pas peur, Cheviot, répliqua le duc de Rothsay ; fût-il aux portes de la mort, voilà qui ferait lâcher prise aux démons… Avancez la calebasse, mes amis. — Il est mort s’il y goûte à présent, dit Éviot. S’il boit du vin, il est mort. — Alors quelqu’un va boire pour lui, et il sera guéri par intermédiaire… Puisse notre grand dieu Bacchus accorder à sir John Ramorny la consolation et la paix du cœur ; lubrifier ses poumons, et lui rendre l’imagination légère ! dons les plus précieux que le ciel nous ait faits, tandis que le fidèle sujet qui boira à sa place aura les maux de cœur, les attaques de nerfs, les vacillements de la vue, les battements du cerveau ; souffrances