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fluence sur mon esprit, et a conservé sa place lorsque bien des faits, qui ont influé sur ma fortune, ont fui de ma mémoire. Il est donc naturel qu’en réfléchissant à ce que je pouvais faire pour l’amusement du public, je me sois décidé pour un récit lié à la scène magnifique qui fit une impression si vive sur ma jeune imagination, et qui pourra peut-être avoir, pour déguiser la faiblesse de l’ouvrage, cet effet que les dames supposent à une belle porcelaine de Chine, qui a la vertu d’augmenter la saveur d’un thé ordinaire.

L’époque à laquelle je me propose de commencer est néanmoins de beaucoup plus reculée que les grands faits historiques auxquels j’ai déjà fait allusion ; car les événements que je vais raconter se passèrent durant les dernières années du quatorzième siècle, quand le sceptre écossais était porté par la main loyale mais faible de Jean, qui régnait sous le nom de Robert III.


CHAPITRE II.

L’ARMURIER.


Une campagnarde peut avoir des lèvres de velours ; et quoiqu’elle ne soit pas noble, elle peut plaire autant que la femme la plus fière.
Dryden.


Perth, qui peut s’enorgueillir, comme nous l’avons déjà dit, d’une si large part des beautés de la nature inanimée, n’a jamais été dépourvue non plus de certains charmes qui sont à la fois plus intéressants et plus passagers. Être appelée la Jolie Fille de Perth eût été en tout temps une haute distinction, et aurait annoncé une beauté peu commune, lorsqu’il y avait tant de rivales dignes d’un titre si envié. Mais aux temps féodaux, sur lesquels nous appelons maintenant l’attention du lecteur, la beauté chez une femme était une qualité d’une bien plus haute importance qu’elle ne l’a été depuis que les idées de chevalerie se sont à peu près éteintes. L’amour des anciens chevaliers était une espèce d’idolâtrie permise : en théorie, l’amour du ciel était censé l’égaler ; mais en pratique, c’était un sentiment sans rival. Dieu et les dames étaient familièrement invoqués ensemble, et la dévotion au beau sexe était aussi péremptoirement ordonnée à l’aspirant à l’honneur de la chevalerie, que celle qui est due au ciel. À une telle époque de la société, le pouvoir de la beauté était