Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/193

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éloquence, d’abandonner la poursuite de cette affaire ; mais Smith le rodomont, et deux ou trois autres têtes chaudes ont crié vengeance. Votre Seigneurie doit savoir que ce pourfendeur s’institue le cavalier de la Jolie Fille de Perth ; il tenait donc à honneur de venger la querelle de son père ; mais je lui ai fait manquer le but où il visait, et c’est quelque chose quand on a soif de vengeance. — Qu’entendez-vous par là, sire médecin ? — Votre Seigneurie apprendra que ce Smith ne mène pas une conduite irréprochable, que c’est un libertin, un joyeux compère. Je l’ai moi-même rencontré le jour de la Saint-Valentin, un peu après la bataille des bourgeois contre les gens de Douglas. Oui, je l’ai rencontré se faufilant par les ruelles et les passages avec une chanteuse ambulante, tenant d’un bras le paquet et la viole, de l’autre la demoiselle elle-même. Qu’en pense Votre Seigneurie ? N’est-ce pas un hardi personnage de rivaliser avec un prince pour l’amour de la plus Jolie Fille de Perth, de couper la main d’un chevalier et baron, et de se faire le chambellan d’une chanteuse vagabonde, tout cela dans l’espace des mêmes vingt-quatre heures ? — Ma foi, je lui en veux moins puisqu’il a tant de l’humeur d’un gentilhomme, tout manant qu’il est ; je souhaiterais qu’il eût été rigoriste plutôt que licencieux, et j’aurais eu meilleur cœur à t’aider dans ta vengeance… et quelle vengeance ! Vengeance sur un forgeron ! Vengeance à cause d’une querelle avec un misérable fabricant de mors et de chanfreins… et pourtant elle sera accomplie tout entière ; tu l’as déjà commencée, j’en suis sûr, par tes manœuvres. — Un peu ; j’ai eu soin seulement que deux ou trois des plus notables commères de Curfew-Street, qui n’aiment pas à entendre appeler Catherine la Jolie Fille de Perth, sussent cette histoire de son fidèle Valentin. Elles ont tellement donné dans le panneau, que, plutôt que de laisser un doute planer sur cette aventure, elles auraient juré l’avoir vue de leurs yeux. L’amant vint chez le père une heure après, et Votre Seigneurie peut imaginer quel accueil lui a fait le gantier en colère, car la demoiselle n’a pas daigné le voir. Ainsi Votre Honneur voit que j’ai pris un avant-goût de ma vengeance. Mais j’espère m’en rassasier, grâce à Votre Seigneurie, avec qui j’ai formé une ligue fraternelle et… — Fraternelle ! » dit le chevalier avec mépris ; « mais soit : les prêtres disent que nous sommes tous de la même boue. Je ne saurais m’expliquer… mais il me semble pourtant qu’il y a quelque différence. Néanmoins l’argile supérieure tiendra parole à