Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/15

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core qui allait avant peu de semaines devenir mère. — Bravo, beau cousin !… Eh bien ! après avoir évoqué votre volée de fantômes, j’espère que votre intention n’est pas de les renvoyer glacés à leurs lits sitôt ? Vous les mettrez quelque peu en action ; et puisque vous menacez la Canongate de votre plume désespérée, vous voulez sans doute faire une nouvelle ou un drame de cette singulière tragédie ? — De pires… c’est-à-dire de moins intéressantes époques ont été mises à contribution pour amuser les siècles paisibles qui leur ont succédé ; mais, ma chère dame, les événements du règne de Marie sont trop bien connus pour servir de véhicule aux fictions de romans. Qui pourrait ajouter quelque chose à la narration élégante et vigoureuse de Robertson[1] ! Adieu donc à ma vision… Je m’éveille comme John Bunyan[2], et je vois que c’est un songe… Eh bien ! il suffit que je m’éveille sans une sciatique qui aurait probablement récompensé mon sommeil si j’avais profané le lit de la reine Marie pour ranimer une imagination engourdie. — Cela ne se passera pas ainsi, beau cousin ; il vous faut triompher de tous ces scrupules si vous voulez réussir dans la carrière de romancier historique que vous semblez avoir choisie. Quel rapport y a-t-il entre vous et le classique Robertson ? La lumière qu’il portait était celle d’une lampe pour éclairer les sombres événements de l’antiquité ; la vôtre est une lanterne magique éclairant des merveilles qui n’existèrent jamais. Aucun lecteur de bon sens ne s’étonne de vos inexactitudes historiques, pas plus qu’il ne s’étonne en voyant aux marionnettes Polichinelle assis sur le même trône que le roi Salomon dans sa gloire, ou en l’entendant crier au patriarche, au milieu du déluge : « Le temps est bien couvert, maître Noé. » — Ne vous y trompez pas, ma chère dame, répondis-je ; je connais parfaitement mes privilèges, comme auteur de roman. Mais le menteur M. Fagg[3] lui-même nous assure que, bien qu’il ne se fît jamais scrupule de mentir au commandement de son maître, pourtant il lui faisait mal au cœur d’être découvert. Or, voilà pourquoi j’évite avec prudence les sentiers bien connus de l’histoire, où tout le monde peut lire les écriteaux soigneusement placés pour indiquer par où il faut tourner ; les petits garçons, les jeunes filles, qui apprennent l’histoire d’Angleterre par demandes

  1. L’histoire de ce nom. a. m.
  2. Auteur du roman qui a pour titre le Voyage du Pèlerin. a. m.
  3. Personnage de comédie. a. m.