Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/141

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recherché les plaisirs mondains ou s’y sont laissés entraîner ; et telle tu deviendras aussi après tes danses et ton vagabondage, après tes danses et ta musique ; toi, comme tous les ménestrels et ceux qui les admirent, tu deviendras semblable à ces ossements qui répugnent aujourd’hui à ta délicatesse. — Ne dites pas qu’ils répugnent à ma délicatesse, mon père, répondit la chanteuse, car le ciel sait que je convoite le repos de ces pauvres restes déjà blanchis, et si, en couchant mon corps près d’eux, je pouvais sans péché obtenir un état semblable au leur, je choisirais ce charnier pour lieu de repos, de préférence à la couche la plus douce et la plus riche de toute l’Écosse. — De la patience, et marchons, » reprit le moine d’un ton moins rude ; « le moissonneur ne doit pas quitter la besogne avant que le coucher du soleil en donne le signal. »

Ils avancèrent encore. Frère Cyprien, au bout d’une longue galerie, ouvrit la porte d’un petit appartement, ou peut-être d’une chapelle, car il était orné d’un crucifix, devant lequel brûlaient quatre lampes. Tous s’inclinèrent et se signèrent, et le religieux dit à la chanteuse, en montrant le crucifix : « Que signifie cet emblème ? — Il invite le pécheur aussi bien que le juste à s’approcher. — Oui, si le pécheur se repent de son péché, » dit le moine, dont le son de voix s’adoucissait évidemment ; « prépare-toi en ce lieu pour ton voyage. »

Louise resta peu d’instants dans la chapelle, et en ressortit bientôt, couverte d’une mante de gros drap gris qui la cachait entièrement, après avoir serré ceux de ses ornements qu’elle avait eu le temps d’ôter dans le petit coffret qui contenait auparavant son costume de tous les jours.

Aussitôt après, le moine ouvrit une porte qui communiquait avec le dehors. Ils se trouvèrent dans le jardin qui entourait le monastère des dominicains. « La porte du sud est fermée au loquet, et vous pouvez sortir par là sans être aperçus, dit alors le moine ; le ciel te bénisse, mon fils ; le ciel vous bénisse aussi, malheureuse enfant : en songeant au lieu où vous avez quitté de vains colifichets, puissiez-vous penser que vous ne devez jamais les reprendre ! — Hélas ! mon père, répondit Louise, si la pauvre étrangère pouvait subvenir aux premiers besoins de la vie par une occupation plus honorable, elle ne tiendrait pas à professer son art frivole ; mais… »

Mais le moine avait disparu ; la porte même par où il venait de