Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/130

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de la joyeuse Écosse, connus par tout le monde pour leur bravoure et leur courtoisie, de permettre à une pauvre étrangère d’essayer de les distraire par son art. L’amour du chant était alors, comme celui de la guerre, une passion générale, que tous au moins affectaient, qu’ils la ressentissent véritablement ou non : aussi l’assentiment à la proposition de Louise fut-il unanime. Au même instant un vieux moine, à sourcils noirs, crut nécessaire de rappeler à la chanteuse que, puisqu’on la tolérait dans l’enceinte sacrée, ce qui était une faveur extraordinaire, il espérait que rien ne serait dit ni chanté qui répondit mal au saint caractère du lieu.

La chanteuse baissa la tête, agita ses noirs cheveux et se signa dévotement, comme pour protester de l’impossibilité d’une telle transgression ; puis elle commença le lai de la pauvre Louise, que nous avons rapporté à la fin du dernier chapitre.

Au moment où elle chantait le premier couplet, elle fut interrompue par un cri de « Place… place… place au duc de Rothsay ! — Oh ! ne gênez personne pour moi, » dit le galant et jeune cavalier, qui entra monté sur un noble coursier arabe qu’il dirigeait avec une grâce exquise ; il retenait les rênes si légèrement et pressait d’une manière si peu visible les flancs de l’animal, que le cheval paraissait avancer de son propre mouvement, et porter ainsi gracieusement son cavalier, comme si celui-ci était trop indolent pour se donner la peine de le conduire.

Le prince portait un costume fort riche, mais souillé et mis avec une extrême négligence. Sa taille était élégante, quoique petite et frêle ; ses traits étaient beaux, mais il y avait sur son front une affreuse pâleur qui semblait provenir de chagrins ou d’excès, ou de la réunion de ces deux causes destructrices. Ses yeux étaient abattus et ternes, comme s’il se fût livré fort tard aux plaisirs du soir précédent ; tandis que sur ses joues brillait une rougeur extraordinaire, qui semblait indiquer que toute sa personne se ressentait encore de ses orgies, ou qu’il avait eu recours à un coup du matin pour dissiper les effets de la débauche de la nuit.

Tel était le duc de Rothsay, l’héritier de la couronne d’Écosse, tout à la fois objet d’intérêt et de compassion ; tous ôtèrent leurs bonnets, et lui ouvrirent un passage, tandis qu’il répétait nonchalamment : « Pas si vite… pas si vite… J’arriverai toujours assez tôt à l’endroit où il me faut aller… Qu’est ceci ? Une