Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ont pas dans leur table, leur lit et leur logement, la mollesse et la magnificence qui distinguent leurs voisins du Sud. Je suis pauvrement logé, milord Gilsland, » ajouta-t-il en appuyant avec hauteur sur ce mot, pendant qu’avec un peu de répugnance il le conduisit vers sa résidence temporaire.

Quels que fussent les préjugés de de Vaux contre la nation de sa nouvelle connaissance, et quoique nous ne prétendions pas nier qu’ils ne fussent fondés en partie sur la pauvreté proverbiale du chevalier écossais, il était naturellement trop généreux pour prendre plaisir à la mortification d’un brave qui se voyait ainsi forcé de faire connaître une indigence que sa fierté aurait voulu cacher.

« Honte, dit-il, au soldat de la croix qui s’occupe de splendeur mondaine, de luxe et de mollesse pendant qu’il marche à la conquête de la Ville sainte. Quelque rude que soit notre vie, nous ne souffrirons jamais autant que cette armée de martyrs et de saints qui ont foulé ce sol avant nous, et qui portent maintenant les lampes d’or et les palmes toujours verts. »

Jamais sir Thomas Gilsland n’avait prononcé un discours aussi métaphorique ; et cela provenait sans doute (comme il arrive assez souvent) de ce qu’il n’exprimait pas sa véritable opinion, car le baron était assez amateur de la bonne chère et de la magnificence. En peu de moments ils arrivèrent à l’endroit du camp où le chevalier du Léopard s’était logé.

Les apparences n’annonçaient pas en effet qu’on y eût enfreint ces préceptes d’humilité et de mortification auxquels les croisés, d’après l’opinion exprimée par le baron de Gilsland, devaient tous se soumettre. Un espace de terre assez étendu pour contenir peut-être trente tentes, suivant les principes de castramétation des croisés, était en partie vide (vu que le chevalier, par ostentation, avait demandé du terrain en proportion de la suite qu’il avait dans le principe), et en partie occupé par quelques misérables huttes construites à la hâte avec des branches d’arbre et couvertes de feuilles de palmier. Ces habitations paraissaient entièrement désertes, la plupart tombaient en ruine ; celle du milieu, qui représentait le pavillon du chef, se distinguait par un pennon à queue d’aronde suspendu à la pointe d’une lance, et dont les longs plis tombaient immobiles vers la terre, comme languissants sous les rayons brûlants du soleil d’Asie. Mais aucun page, aucun écuyer, pas même une sentinelle solitaire, n’était placé à côté de cet emblème de la