Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/87

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mes à supporter ce mépris sans le remarquer, et sans le lui rendre : les choses en vinrent au point qu’il passa bientôt pour l’ennemi actif et déterminé d’une nation qu’il se contentait de haïr et même en quelque sorte de mépriser. Des observateurs attentifs remarquèrent même que s’il n’avait pas pour eux la charité de l’Écriture, qui souffre long-temps et ne suppose pas le mal, il ne manquait pas du moins de cette vertu subordonnée qui allège et soulage les maux d’autrui. L’or de Thomas Gilsland achetait des provisions et des médecines qu’il envoyait souvent par des voies secrètes dans le quartier des Écossais. Son austère bienveillance avait pour principe qu’après son ami, un ennemi était l’homme qui avait le plus d’importance à ses yeux ; car il regardait toutes les relations intermédiaires comme ne méritant pas une pensée de sa part. Cette explication était nécessaire au lecteur pour l’intelligence de ce qui suit.

Thomas de Vaux avait à peine fait quelques pas hors du pavillon royal qu’il s’aperçut de ce qu’avait découvert au premier abord l’oreille plus exercée du roi d’Angleterre, qui ne manquait pas d’habileté dans l’art des ménestrels : les sons guerriers qu’ils avaient entendus étaient produits par les clairons, les hautbois et les timbales des Sarrasins. Au bout d’une large avenue de tentes qui conduisait au pavillon de Richard, le baron anglais aperçut une foule de soldats oisifs assemblés autour du lieu d’où la musique se faisait entendre : là, presque au centre du camp, il vit avec une grande surprise, confondus avec les casques de formes variées que portaient les croisés de différentes nations, les turbans blancs et les longues javelines qui annonçaient la présence des Sarrasins ; il aperçut aussi les têtes informes de plusieurs chameaux et dromadaires, qui s’élevaient au dessus de la multitude sur leurs cous longs et difformes.

Étonné et mécontent de ce spectacle étrange et inattendu, car c’était l’usage de laisser les parlementaires et autres messagers de l’ennemi en dehors des barrières du camp, le baron chercha avidement des yeux quelqu’un auquel il pût demander la cause de cette alarmante nouveauté. À la démarche grave et hautaine de la première personne qu’il vit s’avancer vers lui, il conclut intérieurement que ce devait être un Écossais ou un Espagnol, et bientôt après il murmura en lui-même : « C’est bien un Écossais, le chevalier du Léopard… Je l’ai vu se battre assez bien pour un homme de son pays. »