Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/81

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nent-ils déjà pour mort ?… Mais non, non, ils ont raison. Et qui choisissent-ils pour chef de l’armée chrétienne ?

— La prééminence du rang désigne le roi de France, répondit de Vaux.

— Oh, oh ! Philippe de France et de Navarre[1], Montjoie, saint Denis, Sa Majesté très chrétienne ! Grands mots qui remplissent bien la bouche ! Il n’y a qu’une chose à craindre, c’est qu’il ne se trompe de mots, et prenant en arrière pour en avant, ne nous ramène à Paris au lieu de marcher sur Jérusalem. Sa cervelle politique a fait l’expérience qu’il y a plus de profit à opprimer ses feudataires et à piller ses alliés qu’à combattre contre les Turcs pour le Saint-Sépulcre.

— On pourrait choisir le duc d’Autriche.

— Quoi ! parce qu’il est gros et gras comme toi, Thomas, et qu’il a le crâne presque aussi épais, quoiqu’il n’ait pas cependant ton indifférence dans le danger, et la même facilité à oublier une offense ! Je te dirai que dans toute cette masse de chair autrichienne, il n’y a pas plus de hardiesse et de courage que la colère n’en peut donner à une guêpe ou à un roitelet. Fi de lui ! Lui ! conduire la chevalerie à de nobles faits d’armes ! Donnez-lui plutôt un baril de vin du Rhin à boire avec ses lourds barons allemands.

— Il y a le grand-maître des templiers, » continua le baron, qui n’était pas fâché de tenir l’attention de son maître occupée de toute autre chose que de sa maladie, fût-ce même aux dépens des princes et des potentats ; « il y a, continua-t-il, le grand-maître des templiers, intrépide, habile, brave dans le combat, sage dans le conseil, n’ayant pas de royaume à lui dont les intérêts puissent le détourner de la délivrance de la Terre-Sainte. Que pense Votre Majesté du grand-maître pour chef général de l’armée chrétienne ?

— Ah ! Beau-séant ? répondit le roi. Oh ! il n’y a rien à dire contre le frère Gilles Amaury. Il entend l’ordre d’une bataille, et sait combattre en face quand le signal est donné. Mais, sir Thomas, serait-il juste de prendre la Terre-Sainte au païen Saladin si rempli de toutes les vertus qui peuvent distinguer un homme qui n’est pas chrétien, pour la donner à Gilles Amaury, cent fois plus païen que lui ; un idolâtre, un adorateur du diable, un nécromancien qui, dans des caveaux et autres lieux secrets d’abomination et de

  1. Est-il bien sûr que Walter Scott ne fasse pas ici un anachronisme en donnant le titre de roi de Navarre et de sa majesté très chrétienne aux rois de France de cette époque ? a. m.