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Normands le lord de Vaux ; mais les Saxons, qui restaient attachés à leur langue et étaient fiers de la part de sang saxon qui coulait dans les veines de cet illustre guerrier, le nommaient en anglais Thomas des Gills, désignant ainsi les étroites vallées d’où ses vastes domaines avaient tiré leur appellation bien connue.

Ce chef valeureux avait été engagé dans presque toutes les guerres qui avaient eu lieu entre l’Angleterre et l’Écosse, et dans les différentes factions intestines qui déchiraient alors le premier de ces deux pays : partout il s’était distingué tant par ses talents militaires que par sa valeur personnelle. C’était d’ailleurs un soldat grossier, brusque et négligé dans ses manières ; taciturne, et même presque insociable dans ses habitudes, ou semblant dédaigner du moins cette politesse adroite qui réussit à la cour. Néanmoins, quelques uns de ces esprits qui prétendent pénétrer le cœur des hommes assuraient que, malgré sa rudesse et sa brusquerie, lord de Vaux n’en était pas moins ambitieux et rusé : ils pensaient qu’en s’assimilant au caractère de hardiesse et de brusque franchise qui distinguait le roi, il avait en vue d’établir sa faveur et d’assouvir son ambition secrète. Néanmoins, personne ne se souciait de s’opposer à ses desseins, s’il était vrai qu’il en eût de semblables, en lui disputant le dangereux emploi de veiller auprès du lit du patient, dont le mal avait été jugé contagieux : on se rappelait surtout que le malade était Richard Cœur-de-Lion, souffrant avec toute l’impatience frénétique d’un guerrier privé de combats, d’un monarque sevré d’autorité. Les simples soldats, du moins ceux de l’armée anglaise, pensaient généralement que de Vaux soignait le roi comme il eût soigné tout autre camarade, avec le désintéressement et l’honnête franchise d’une amitié de frères d’armes, si naturelle entre hommes qui partagent tous les jours les mêmes dangers.

Sur le déclin d’un de ces jours brûlants qui dévorent la Syrie, Richard était étendu sur sa couche ; son esprit la maudissait intérieurement, son corps, irrité par la maladie, en était fatigué. Son œil bleu, qui brillait dans tous les temps d’une vivacité et d’un éclat extraordinaires, encore animé par l’ardeur de la fièvre et par l’impatience qui le dévorait, étincelait sous ses longues boucles de cheveux blonds en désordre, et lançait des jets de lumière aussi rapides, aussi éclatants que les derniers reflets du soleil qui illuminent encore les nuages précurseurs de la tempête. Ses traits mâles attestaient par leur changement les progrès de la maladie qui le consumait ; sa barbe négligée, et qui depuis long-temps n’avait pas