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lution qu’avait adoptée le conseil de conclure avec Saladin une trêve de trente jours ; car si d’un côté il se sentait irrité du délai qui suspendait la marche de cette grande entreprise, de l’autre il s’en consolait un peu en songeant que les autres guerriers chrétiens n’acquerraient point de lauriers pendant qu’il restait inactif sur le lit où la maladie l’enchaînait.

Toutefois, ce que Richard pouvait le moins excuser, c’était l’inactivité générale qui régna dans le camp des croisés du moment où l’on y apprit que sa maladie prenait un aspect sérieux. Les nouvelles qu’il en arrachait à ceux dont il était entouré, malgré leur répugnance à s’expliquer sur ce point, lui faisaient comprendre que les espérances de l’armée s’étaient affaiblies à mesure que sa maladie devenait grave. Enfin, il voyait cet intervalle de trêve employé non pas à renforcer les troupes, à ranimer leur courage, à exalter en elles l’esprit de conquête, et à les préparer à marcher promptement sur la Cité sainte, qui était le but de l’expédition, mais à fortifier le camp, à l’entourer de tranchées, de palissades et d’autres moyens de défense, comme si les croisés se préparaient plutôt à repousser l’attaque d’un ennemi puissant, dès le renouvellement des hostilités, qu’à prendre l’attitude altière d’agresseurs et de conquérants.

Le roi anglais s’irritait à ces rapports comme le lion emprisonné qui contemple sa proie à travers les barreaux de fer de sa cage. Naturellement emporté et fougueux, son impétuosité le dévorait. Il était l’effroi des gens de sa suite, et les médecins eux-mêmes craignaient de prendre sur lui cette autorité qu’il leur est indispensable d’exercer sur leurs malades pour réussir à les guérir. Un fidèle baron, peut-être à cause du rapport qui existait entre leurs caractères, s’était exclusivement dévoué à la personne du roi, et osait seul s’interposer entre le lion et sa colère : son calme et sa fermeté lui assuraient sur ce dangereux malade un empire que personne n’osait prendre ; et si Thomas de Multon lui-même était arrivé à ce point d’autorité, c’est qu’il estimait la vie et l’honneur de son souverain bien au dessus du degré de faveur qu’il risquait de perdre ; c’est qu’il savait mépriser les périls auxquels il s’exposait personnellement en soignant un malade d’un naturel indomptable, et dont le mécontentement pouvait être fatal.

Sir Thomas était lord de Gilsland, dans le Cumberland. Dans un siècle où les surnoms et les titres n’étaient pas, comme de nos jours, invariablement attachés aux individus, il était appelé par les