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et des rosées glaciales. À ces causes de désastre, il fallait ajouter le fer de l’ennemi. Saladin, dont le nom est le plus grand qui ait été conservé dans l’histoire d’Orient, avait appris, par une fatale expérience, combien ses soldats armés à la légère étaient peu en état de soutenir, en bataille rangée, le choc des Francs et de leur armure de fer. Il avait également appris à redouter la valeur aventureuse de son adversaire Richard. Mais si ses armées avaient été plus d’une fois mises en déroute avec un grand carnage, le nombre de ses troupes lui avait donné l’avantage dans les escarmouches qui devenaient de plus en plus fréquentes. À mesure que les rangs des croisés s’éclaircissaient, les entreprises du sultan se multiplièrent, et il devint plus hardi dans cette manière de guerroyer. On vit le camp des Européens entouré et presque assiégé par des nuages de cavalerie légère ressemblant à des essaims de guêpes, faciles à écraser dès qu’on peut les atteindre, mais pourvues d’ailes pour échapper à des forces supérieures, et de dards pour blesser et nuire. C’étaient des attaques continuelles d’avant-postes et des combats toujours renaissants entre les fourrageurs, dans lesquels périssaient plusieurs guerriers de marque, sans aucun résultat important. Les convois étaient interceptés, et les communications interrompues. Les croisés étaient réduits à acheter les moyens de soutenir leur vie au risque de leur vie même ; et l’eau, comme celle du puits de Bethléem, après laquelle soupirait le roi David, ne pouvait s’obtenir, comme jadis, qu’en répandant du sang.

Ces maux étaient en quelque sorte contrebalancés par l’inflexible courage et l’infatigable activité du roi Richard qui, avec quelques uns de ses meilleurs chevaliers, était toujours à cheval, prêt à se porter sur tous les points où le danger se présentait : souvent il arrivait à propos non seulement pour prêter un secours inattendu aux chrétiens, mais même pour mettre les infidèles en déroute au moment où ils se croyaient le plus sûrs de la victoire. Mais la constitution de fer de Cœur-de-Lion lui-même ne put pas supporter sans atteinte les variations continuelles de ce climat malsain et cette perpétuelle activité de corps et d’esprit. Il devint la proie d’une de ces fièvres lentes et dévorantes si communes en Asie : bientôt, en dépit de sa grande force et de son courage plus grand encore, il se trouva hors d’état de monter à cheval, et même de siéger aux conseils de guerre que tenaient de temps en temps les croisés. Il était difficile de décider si cet état d’inactivité forcée était devenu plus pénible ou plus supportable au monarque anglais par la réso-