Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pouvait pas plus dépasser qu’un esprit ne peut franchir les bornes imposées par la baguette d’un puissant enchanteur. Elle était involontairement poursuivie par la pensée qu’elle-même devait risquer, ne fût-ce que le bout de son petit pied de fée en dehors de la limite prescrite, si elle voulait jamais donner à cet amant timide et réservé l’occasion de baiser les attaches de ses souliers. Il y avait un exemple mémorable, celui de la fille du roi de Hongrie, qui avait eu la générosité d’encourager les espérances d’un écuyer de basse extraction, et Édith, quoique issue du sang royal, n’était pas la fille du roi, pas plus que son amant n’était d’une extraction vulgaire. La fortune n’avait pas opposé une semblable barrière à leurs affections. Quelque chose cependant, dans le cœur de la jeune et noble fille, ce modeste orgueil qui jette un voile sur l’amour lui-même, lui défendait, malgré la supériorité de son rang, de faire ces avances que, dans tout autre cas, la délicatesse doit laisser à l’amant. Enfin, sir Kenneth était un chevalier si plein d’honneur et de perfection (du moins tel son imagination le lui dépeignait) ; il avait un sentiment si sévère de ce qu’il devait à elle-même et à lui-même, que, malgré toute la contrainte qu’elle s’imposait en recevant ses vœux comme la statue d’une divinité insensible aux hommages de ses adorateurs, l’idole craignait encore qu’en descendant trop tôt de son piédestal elle ne se dégradât elle-même aux yeux de celui qui lui offrait un culte si dévoué.

Cependant, comme l’adorateur même d’une véritable idole trouve moyen de découvrir des signes d’approbation sur les traits immobiles d’une statue de marbre, il n’est pas étonnant qu’on pût aussi favorablement interpréter un certain éclat qui sortait des yeux de la charmante Édith, dont la beauté consistait plutôt dans la puissance de l’expression que dans la régularité parfaite des contours, et l’éclat du coloris. Quelques marques légères de distinction lui étaient échappées ; autrement, comment notre chevalier aurait-il pu reconnaître si promptement, et avec certitude, la jolie main dont il avait à peine aperçu deux doigts à travers le voile, et comment aurait-il pu être convaincu que les deux fleurs successivement jetées près de lui étaient un gage de souvenir de la dame de ses affections ? Nous n’essaierons pas d’expliquer par quelle suite d’observations, par quels signes, regards ou gestes secrets, par quel mystérieux instinct de l’amour, cette vive sympathie s’était établie entre Édith et son amant ; car nous sommes vieux déjà, et d’aussi légers indices de tendresse découverts par de plus jeunes