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les récits des combats qui se livraient journellement ; et tandis que comtes, ducs et barons se disputaient à l’envi un de ses regards, elle les laissa tomber involontairement d’abord, et peut-être même sans le savoir, sur le pauvre chevalier du Léopard, qui, pour soutenir son rang, n’avait guère que son épée. Quand elle l’examina et l’écouta avec plus d’attention, la noble damoiselle en vit et en ouït assez pour encourager un penchant qui s’était d’abord glissé dans son cœur à son insu. Si on louait la beauté personnelle d’un chevalier, les dames les plus prudes de la cour guerrière d’Angleterre oubliaient leur réserve pour citer le jeune Écossais ; il arrivait même souvent que, malgré les largesses que les princes et les seigneurs prodiguaient aux ménestrels, un noble esprit d’indépendance et d’impartialité s’emparant du poète, sa harpe célébrait l’héroïsme de celui qui n’avait ni palefrois ni riches vêtements à donner en récompense de telles louanges.

Les moments où elle écoutait l’éloge de son amant acquéraient chaque jour plus de prix pour la noble Édith. C’était une douce distraction à la flatterie dont ses oreilles étaient fatiguées ; c’était, pour ses méditations secrètes, un objet qui, d’après le bruit public, se trouvait plus digne de les occuper que tous ceux qui le surpassaient en rang et en fortune. À mesure qu’elle fixait davantage son attention sur sir Kenneth, elle se sentait plus convaincue de son dévouement pour elle ; elle s’affermissait de plus en plus dans la certitude secrète qu’elle voyait dans sir Kenneth d’Écosse le chevalier destiné à partager avec elle les douceurs et les vicissitudes d’une passion dont la perspective n’était pas sans dangers, mais à laquelle les poètes du siècle attribuaient un empire universel et irrésistible, et que le siècle lui-même, dans ses mœurs et ses usages, élevait au niveau des vertus et de la piété.

Nous ne chercherons pas à abuser nos lecteurs. Lorsqu’Édith s’aperçut de l’état de son âme, tout chevaleresques que fussent ses sentiments, et dignes d’une fille que sa naissance approchait du trône d’Angleterre, quelque flatté que dût être son orgueil de l’hommage silencieux, mais continuel du chevalier préféré, il y avait des moments où son cœur de femme, aimant et aimé, murmurait contre la tyrannie des formes dont elle était environnée, et accusait presque la timidité de son amant, qui paraissait décidé à ne pas les enfreindre : l’étiquette du rang et de la naissance avait tracé autour d’elle un cercle magique, en dehors duquel il était bien permis à sir Kenneth de la saluer et de l’admirer, mais qu’il