Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/65

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s’en occupa pas, il n’y donna pas une pensée. Il ne songea d’abord à rien qu’à la vision fugitive qui venait de lui apparaître, et aux gages de souvenir qu’elle lui avait jetés. Se précipiter à terre, et y chercher à tâtons les boutons qu’elle avait laissés tomber ; attacher ses lèvres sur les froides pierres qu’elle venait de fouler ; se livrer à toutes les folies qu’une passion ardente suggère à ceux qui s’y abandonnent et qu’elle justifie à leurs yeux, telles étaient les marques d’un amour passionné qui sont communes à tous les siècles. Mais ce qui caractérisait le siècle de la chevalerie, c’est qu’au milieu de ses transports les plus extravagants le chevalier ne songea point un moment à faire le moindre effort pour suivre ou découvrir l’objet de cet attachement exalté : c’était une déité qui, ayant jugé à propos de se montrer un instant à son adorateur zélé, était rentrée de nouveau dans les profondeurs de son sanctuaire ; c’était un astre qui, dans un moment favorable, avait jeté sur lui un rayon propice, et s’était enveloppé de nouveau dans un voile de vapeurs. Les actions de la dame de ses affections étaient pour lui celles d’un être supérieur, qui ne devaient être ni observées ni contraintes… Elle pouvait le réjouir par son aspect ou le désoler par son absence, le ranimer par sa boulé ou le désespérer par sa rigueur, le tout suivant sa libre volonté, et sans avoir à craindre aucune importunité, aucun reproche de son champion dévoué. Ce champion ne devait se rappeler à elle que par les sentiments de son cœur et la fidélité de son épée, et son seul but dans cette vie devait être d’accomplir les ordres de sa dame, et d’étendre le renom de sa beauté par l’éclat de ses propres exploits.

Telles étaient les lois de la chevalerie et de l’amour qui en était le principe dominant. Mais la passion de sir Kenneth avait été exaltée par des circonstances particulières. Il n’avait jamais entendu le son de voix de sa dame, quoiqu’il eût souvent contemplé sa beauté avec ivresse. Elle vivait dans un cercle dont son titre de chevalier lui permettait bien de s’approcher, mais auquel il lui était défendu de se mêler. Enfin, quoique hautement distingué par son courage et ses talents militaires, le pauvre guerrier écossais n’en était pas moins forcé d’adorer sa divinité à une distance presque aussi grande que celle qui sépare le Guèbre du soleil, objet de son culte. Mais quelle femme, si haut qu’elle porte les yeux, manqua jamais de remarquer le dévoûment passionné d’un amant même bien inférieur à son rang dans le monde ? Son regard s’était arrêté sur lui dans le tournoi, son oreille avait recueilli ses louanges dans