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les avoir reçues, sir Kenneth se demandait encore si les accès de démence de l’ermite provenaient réellement de la ferveur souvent excessive de son zèle, ou si ce n’était pas plutôt un caractère fictif qu’il avait revêtu à cause du privilège qui s’y attachait. Cependant il lui sembla que les musulmans portaient la complaisance à un degré peu commun, vu le fanatisme qui caractérise les sectateurs de Mahomet, au milieu desquels Théodoric vivait tranquille quoique en ennemi avoué de leur foi. Il crut voir aussi qu’il y avait entre l’ermite et le Sarrasin une connaissance plus intime que les paroles du dernier ne le faisaient entendre. Enfin il ne lui était pas échappé que le solitaire avait donné à l’émir un nom tout autre que celui de Heerkohf. Toutes ces considérations étaient de nature à faire naître la prudence, sinon le soupçon. Il résolut donc d’examiner son hôte de plus près, et de ne pas trop se presser de lui communiquer l’important message qui lui était confié.

« Prends garde, Sarrasin, dit-il, car il me semble que l’imagination de notre hôte s’égare au sujet des noms aussi bien que sur d’autres points. Tu t’appelles Heerkohf, et il vient tout-à-l’heure de te nommer autrement.

— Mon nom, quand j’habite la tente de mon père, est Ilderim, reprit le Persan, et c’est celui-là que beaucoup de gens me donnent encore… À la guerre et parmi les soldats on m’appelle le Lion de la Montagne, car c’est le nom que ma bonne épée m’a gagné… Mais chut ! l’Hamako revient, c’est pour nous avertir de nous livrer au repos… Je connais sa coutume… Personne ne doit être témoin de ses veilles. «

L’anachorète entra en effet, et croisant ses bras sur sa poitrine, en se tenant debout devant ses hôtes, il dit d’une voix solennelle : « Béni soit le nom de celui qui a voulu qu’une nuit de repos suivît un jour de fatigue, et qu’un sommeil paisible vînt réparer la lassitude des membres et rafraîchir l’agitation de l’esprit ! »

Les deux guerriers répondirent amen, et se levant de table, se préparèrent à se rendre à leur couche que leur hôte leur indiqua d’un signe de main. Enfin, les saluant tous deux, il sortit de l’appartement.

Le chevalier du Léopard se débarrassa de sa pesante armure, son camarade le Sarrasin l’aidant officieusement à défaire les agrafes de sa cuirasse ; après quoi sir Kenneth resta vêtu d’un justaucorps de peau de chamois que les chevaliers et les hommes d’armes avaient coutume de porter sous leur armure. Si le Sarrasin avait