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l’ermite éleva les mains comme pour bénir les rafraîchissements qu’il avait placés devant ses hôtes, et ils se mirent à manger en gardant un silence profond. Cette gravité était naturelle au Sarrasin, et le chrétien imita sa taciturnité, tout en réfléchissant intérieurement à la singularité de sa situation. Quel contraste en effet entre les gesticulations sauvages et furieuses, les cris aigus et les actions violentes de Théodoric, lors de leur rencontre, et la manière calme, grave et presque majestueuse dont il remplissait les devoirs de l’hospitalité !

Quand le repas fut achevé, l’ermite, qui n’avait rien mangé lui-même, enleva les restes, et plaçant devant le Sarrasin un vase rempli de sorbet, présenta un flacon de vin à l’Écossais.

« Buvez, dit-il, mes enfants, » et c’étaient les premiers mots qu’il prononçait ; « buvez : les dons de Dieu sont faits pour qu’on en jouisse, pourvu qu’on n’oublie pas leur dispensateur. »

Après ces paroles il se retira dans la première cellule, probablement pour se livrer à ses dévotions, et laissa ses hôtes ensemble dans l’appartement intérieur. Kenneth adressa différentes questions à Sheerkohf pour apprendre de lui ce qu’il savait de leur hôte. Sa seule curiosité ne le portait pas à prendre ces renseignements : s’il était difficile de concilier les procédés violents du solitaire à son premier abord avec le calme et l’humilité de ses manières actuelles, il était plus difficile encore de les accorder avec la haute considération que cet ermite, d’après ce que sir Kenneth avait entendu dire, s’était acquise parmi les théologiens les plus éclairés du monde chrétien. Théodoric, l’ermite d’Engaddi, avait été le correspondant des papes et des conciles, et, dans ses lettres pleines d’une éloquente ferveur, il avait dépeint les misères que les mécréants faisaient souffrir aux chrétiens latins, dans la Terre-Sainte, avec des couleurs presque aussi énergiques que celles dont se servit Pierre l’Ermite, devant le concile de Clermont, lorsqu’il prêcha sa première croisade. Confondu d’avoir trouvé dans un personnage aussi vénérable et aussi vénéré les manières frénétiques d’un fakir furieux, le chevalier chrétien eut besoin de réflexion avant de se décider à lui confier certaines affaires importantes dont il avait été chargé par un des chefs de la croisade.

Le but principal de son pèlerinage, dans lequel il suivait une route tout-à-fait détournée, avait été de s’acquitter de cette mission. Cependant ce qu’il avait vu et entendu cette nuit l’avait porté à attendre encore avant de se confier à l’ermite. L’émir lui-même