Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/49

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mako appartient plus à votre lignage qu’au mien : tu vois en lui l’anachorète que tu vas visiter.

— Lui ! dit sir Kenneth contemplant la figure gigantesque mais décharnée qu’il avait devant les yeux. « Lui ! tu railles, Sarrasin. Ce ne peut être là le vénérable Théodoric ! »

— Qu’il te le dise lui-même, si tu ne veux pas me croire, » répondit Sheerkohf ; et il avait à peine achevé ces mots que l’ermite prenant la parole les confirma positivement.

« Je suis Théodoric d’Engaddi, dit-il ; je suis le gardien du désert, l’ami de la croix, le fléau de tous les infidèles, hérétiques et adorateurs du diable ; hors d’ici ! hors d’ici ! Périssent Mahomet, Termagant et tous leurs sectateurs ! » En parlant de la sorte, il tira de dessous son vêtement grotesque une espèce de fléau ou de gros bâton garni de fer, qu’il brandit autour de sa tête avec une adresse singulière.

« Tu vois là ton saint, » dit le Sarrasin en riant pour la première fois de l’étonnement inexprimable avec lequel sir Kenneth regardait les gestes sauvages et écoutait les murmures bizarres de Théodoric. Celui-ci, après avoir agité son bâton dans tous les sens sans paraître s’inquiéter de ce que cet exercice pouvait avoir de dangereux pour la tête de ses compagnons, finit par donner un échantillon de sa force et de la bonté de son arme en brisant en morceaux une grosse pierre qui était près de lui.

« C’est un fou, dit sir Kenneth.

— Il n’en est pas moins bon saint pour cela, » reprit le musulman, parlant d’après la croyance bien connue de l’Orient, que les fous sont sous l’influence d’une inspiration immédiate. « Sache, chrétien, que lorsqu’un œil est fermé, l’autre en devient plus clairvoyant ; quand une main est emportée, celle qui reste a plus de force et d’adresse : de même quand notre raison est détruite ou troublée relativement aux affaires humaines, notre contemplation du ciel en devient plus nette et plus parfaite. »

Ici la voix du Sarrasin fut couverte par celle de l’ermite, qui se mit à crier à haute voix d’un ton sauvage et qui formait une espèce de chant : « Je suis Théodoric d’Engaddi ; je suis le flambeau du désert, le fléau des infidèles ! Le lion et le léopard seront mes camarades et viendront se réfugier dans ma cellule, et le chevreau n’aura pas peur de leurs griffes… Je suis la torche et le flambeau ! Kyrie eleison ! »

Là-dessus il se mit à courir, et termina sa course par deux ou