Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/48

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heure sera arrivée, sache, dis-je, que nous ne nous serions pas séparés que je n’eusse déchiré cette gorge qui tout à l’heure faisait entendre de si horribles blasphèmes.

— Hamako, » dit le Sarrasin sans montrer le moindre ressentiment de ce langage violent, et de l’assaut plus violent encore qu’il venait de supporter, « je t’en prie, bon Hamako, fais attention une autre fois de ne pas porter si loin tes privilèges ; car, quoique en bon musulman je respecte ceux que le ciel a privés de leur portion ordinaire de raison pour les douer de l’esprit de prophétie, cependant je n’aime pas qu’on porte les mains sur la bride de mon cheval, ni sur ma personne. Dis donc tout ce que tu voudras, sûr d’être à l’abri de mon ressentiment ; mais tâche de recueillir assez de bon sens pour comprendre que si tu viens encore m’attaquer avec violence, je ferai tomber ta tête velue de tes maigres épaules. Et quant à toi, ami Kenneth, » ajouta-t-il en remontant à cheval, « je suis forcé de te dire que j’aime mieux dans un camarade du désert de bons services que de belles paroles. Tu ne m’as pas épargné les dernières, mais tu aurais mieux fait de t’empresser davantage de venir à mon secours lorsque je luttai avec cet Hamako, qui a pensé me tuer dans sa frénésie.

— Sur ma foi ! j’avoue que je suis en défaut, et que j’ai été un peu tardif à te donner le secours dont tu avais besoin ; mais l’étrangeté de l’assaillant, la rapidité de cette scène… On aurait dit que ton chant impie et blasphématoire avait évoqué le diable au milieu de nous ; et telle fut ma confusion, qu’il s’écoula deux ou trois minutes avant que je pusse avoir recours à mes armes.

— Tu es un ami froid et réfléchi, et si la frénésie de l’Hamako avait été une ligne plus loin, ton compagnon aurait été tué sous tes yeux, à ton éternel déshonneur, sans que tu eusses levé un doigt pour venir à son aide, quoique tu fusses bien monté et pourvu de bonnes armes.

— Sur ma parole, Sarrasin, si tu veux que je te parle clairement, j’ai cru que cette étrange figure était le diable lui-même : or, comme vous êtes du même lignage, j’ignorais si vous n’aviez pas quelque secret de famille à vous communiquer pendant que vous vous rouliez amoureusement sur le sable.

— Ton sarcasme n’est pas une réponse, frère Kenneth. Lors même que mon assaillant eût été le prince des ténèbres, tu n’en étais pas moins obligé de lui livrer combat pour défendre ton camarade. D’ailleurs, ce qu’il peut y avoir d’impur ou de diabolique dans cet Ha-