Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quement congé du Sarrasin, ce serait lui témoigner assez d’horreur, ou si plutôt son vœu comme croisé ne l’obligeait pas à défier l’infidèle au combat sur le lieu même, et à y laisser son corps en pâture aux animaux du désert. Mais tout-à-coup son attention fut attirée par une apparition extraordinaire.

La clarté du jour s’affaiblissait et tirait à sa fin ; cependant elle permit au chevalier de remarquer que son compagnon et lui n’étaient plus seuls dans la forêt, mais qu’ils étaient poursuivis de près par une figure d’une taille très haute et très mince, qui sautait de rochers en rochers et de buissons en buissons, avec une agilité qui, jointe à l’aspect sauvage et surnaturel de l’individu, lui rappelait les faunes et les sylvains dont il avait vu les images dans les anciens temples de Rome. Par la même raison que l’honnête Écossais n’avait jamais douté un moment que ces dieux des anciens gentils ne fussent réellement des diables, il n’hésita pas à croire que l’hymne blasphématoire n’eût évoqué l’esprit infernal.

« Mais qu’importe ? » se dit en lui-même le brave sir Kenneth, « périssent le démon et ses adorateurs ! »

Il ne jugea pas cependant nécessaire d’avertir deux ennemis par un défi qu’il aurait certainement offert à un seul avant de commencer le combat. Déjà sa main était sur sa hache d’armes, et l’imprudent Sarrasin aurait payé sa poésie persane en se voyant fendre la tête sur le lieu même sans qu’on lui en eût expliqué la raison, lorsque d’autres circonstances vinrent épargner au chevalier écossais une action qui aurait souillé ses armes d’une tache honteuse. L’apparition, qu’il avait suivie des yeux pendant quelque temps, avait d’abord paru poursuivre les traces des voyageurs en se cachant derrière les rochers et les buissons, se servant avec beaucoup d’adresse des avantages que lui présentait le sol, et surmontant les irrégularités du terrain avec une agilité vraiment surprenante. Au moment où le Sarrasin finissait de chanter, cette figure, qui était celle d’un grand homme couvert de peau de bouc, s’élança au milieu du chemin, saisit dans chaque main une des rênes du cheval du musulman, attaquant ainsi de face et faisant reculer le noble animal : celui-ci, ne pouvant endurer la manière dont cet assaillant imprévu lui faisait sentir la puissance du mors et du caveston, qui, suivant la coutume d’Orient, était un solide anneau de fer, se cabra, et finit par tomber en arrière sur son maître, qui cependant évita le danger de la chute en se jetant légèrement de côté.

L’assaillant quitta aussitôt la bride du cheval pour sauter à la