Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/41

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dalisé parce que je tâche d’égayer de mon mieux une triste route par quelques chants joyeux ? Le poète a dit : « La chanson est comme la rosée du ciel qui tombe sur le sein du désert ; elle rafraîchit le sentier du voyageur. »

— Ami Sarrasin, dit le chrétien, je ne blâme pas le goût de la musique et de la gaie science, quoique nous lui accordions peut-être trop de place dans nos pensées, que nous pourrions diriger vers un meilleur but. Mais les prières et les saints psaumes conviennent mieux que les lais d’amour et les chants bachiques à des hommes qui traversent cette vallée de l’ombre de la mort, remplie d’esprits malins et de démons que les prières des saints hommes ont chassés du séjour des humains et réduits à errer ici au milieu d’une nature aussi maudite que la leur.

— Ne parle pas ainsi des génies, répondit le Sarrasin ; car sache que tu t’adresses à un homme dont la famille et la nation tirent leur origine de cette race immortelle que votre secte craint et blasphème.

— Je pensais bien aussi, répondit le croisé, que ta race aveugle tirait son origine de l’esprit malin, sans l’aide duquel vous n’auriez jamais pu réussir à défendre cette bienheureuse terre de Palestine contre tant de vaillants soldats de Dieu. Je ne prétends pas parler ici de toi en particulier, Sarrasin, mais de ton peuple et de ta religion. Il me paraît étrange cependant, non que vous descendiez de l’esprit malin, mais que vous vous en vantiez.

— De qui le brave des braves se vanterait-il de descendre, si ce n’est du brave des braves ? dit le Sarrasin. À qui une race orgueilleuse pourrait-elle mieux attribuer son origine qu’à l’esprit des ténèbres, qui aima mieux se laisser précipiter du ciel par la force que de ployer volontairement le genou ? On peut haïr Éblis, étranger, mais il faut qu’on le craigne ; et les descendants d’Éblis, qui habitent le Kourdistan, sont semblables à leur père. »

Toutes les connaissances de l’époque se composaient de contes de magie et de nécromancie, et sir Kenneth entendit son compagnon faire l’aveu de son origine diabolique sans aucune incrédulité et sans trop d’étonnement, quoiqu’en frissonnant intérieurement de se voir dans un lieu si effrayant avec un compagnon qui convenait d’un tel lignage. Cependant, naturellement exempt de crainte, il se signa, et demanda bravement au Sarrasin l’explication de la généalogie dont il se vantait. Ce dernier consentit volontiers à la donner.