Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/330

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grand-maître de ne point achever de rompre un roseau brisé, et le templier le frappa au cœur avec un poignard turc, en disant : Accipe hoc, paroles qui, long-temps après, absorbèrent l’imagination terrifiée du témoin secret.

« J’ai vérifié ce récit, dit Saladin, en faisant examiner le corps, et j’ai fait répéter en votre présence au malheureux être qu’Allah a choisi pour découvrir le crime les mots que le meurtrier prononça ; vous avez vu vous-mêmes l’effet qu’ils ont produit sur sa conscience. »

Le soudan s’arrêta, et le roi d’Angleterre rompit le silence.

« Si cela est vrai, comme je n’en doute pas, nous venons d’être témoins d’un grand acte de justice, quoique nous en ayons d’abord jugé différemment ; mais pourquoi, dans cette assemblée, pourquoi de ta propre main ?

— J’en avais décidé autrement, répondit Saladin ; mais si je n’avais pas hâté son sort, il y aurait échappé tout-à-fait, car après lui avoir permis de boire dans ma coupe, comme il était sur le point de le faire, je n’aurais pu, sans violer les saintes lois de l’hospitalité, le punir comme il le méritait. Quand il aurait assassiné mon père, s’il eût ensuite partagé ma coupe, je n’aurais pu toucher à un seul cheveu de sa tête. Mais en voilà assez sur lui, que son cadavre et sa mémoire disparaissent du milieu de nous. »

Le corps fut emporté, et l’on fit disparaître les traces du sang avec une promptitude et une dextérité qui prouvèrent que le cas n’était pas assez rare pour déconcerter les serviteurs et les officiers de la maison de Saladin.

Mais la scène qui venait de se passer avait produit une profonde impression sur l’esprit des princes chrétiens, et quoique sur l’invitation courtoise du soudan ils eussent pris place au banquet, le silence de l’inquiétude et de la consternation régnait parmi eux.

Richard s’éleva par son caractère seul au dessus de toute méfiance et de tout embarras. Cependant il semblait réfléchir comme s’il eût eu quelque proposition à faire et qu’il eût désiré la présenter de la manière la plus agréable. À la fin, il avala une grande coupe de vin, et s’adressant au soudan, il lui demanda : « S’il était vrai qu’il eût honoré le comte de Huntingdon d’une rencontre personnelle. »

Saladin répondit en souriant, qu’il avait éprouvé son cheval et ses armes contre sir Kenneth, comme font les chevaliers quand ils se rencontrent dans le désert, et il ajouta modestement que, bien que le combat n’eût pas été entièrement décisif, il n’avait pas lieu,