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fait raison à Saladin avec le vase de sorbet que celui-ci lui avait présenté, il ne put s’empêcher de dire en souriant : « Le brave cavalier Ilderim ne connaissait pas la formation de la glace, mais le magnifique soudan rafraîchit son sorbet avec de la neige.

— Voudrais-tu qu’un Arabe ou un Kourde fût aussi sage qu’un hakim ? Celui qui prend un déguisement doit faire accorder les sentiments de son cœur et les connaissances de son esprit avec l’habit qu’il porte. Je voulais voir comment un brave et loyal chevalier du Frangistan aurait soutenu la discussion avec un chef tel que je paraissais être, et je mis en doute la vérité d’un fait bien connu, pour savoir par quels arguments tu soutiendrais ton assertion. »

Pendant que le soudan parlait ainsi, l’archiduc d’Autriche, qui se tenait un peu à part, fut frappé de la mention du sorbet glacé, et saisit avec avidité et même un peu brusquement la large coupe, au moment où le comte de Huntingdon allait la remettre à sa place.

« C’est vraiment délicieux ! » s’écria-t-il après avoir bu largement du sorbet que la température brûlante et la chaleur qui enflamme le sang le lendemain d’une orgie lui rendaient doublement agréable. Il poussa un soupir et présenta le vase au grand-maître des templiers. Saladin fit alors un signe au nain qui s’avança et prononça d’une voix rauque : Accipe hoc ! Le templier tressaillit comme le coursier qui voit sur son chemin un lion caché dans un buisson ; cependant il se remit à l’instant ; et pour dérober son trouble à toute observation, il leva le vase à ses lèvres ; mais ses lèvres ne devaient point toucher les bords du vase. Le sabre de Saladin sortit du fourreau comme l’éclair sort du nuage ; on le vit briller en l’air, et la tête du grand-maître roula à l’extrémité de la tente ; le tronc resta un moment debout, le vase serré dans sa main, puis il tomba, et la liqueur du sorbet se mêla dans le sang qui sortait des veines.

Il y eut un cri général de trahison, et le duc d’Autriche, qui se trouvait le plus près de Saladin, qui tenait encore son sabre sanglant à la main, se recula en tressaillant comme s’il eût craint que son tour ne vînt après.

« Ne craignez rien, noble duc d’Autriche, lui dit Saladin ; et vous, roi d’Angleterre, ne soyez pas courroucé de ce que vous venez de voir. Ce n’est pas pour ses nombreuses trahisons, ni pour avoir attenté à la vie du roi Richard, comme son propre écuyer l’affirmera, ni pour avoir poursuivi le prince d’Écosse et moi-même dans le désert en nous réduisant à faire dépendre nos vies de la ra-