Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/325

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uni. Pouvais-je douter qu’il ne fût question du soudan, dont le rang m’était bien connu ; car il visitait souvent ma cellule pour converser avec moi sur les révolutions des corps célestes ? Les planètes m’annonçaient aussi que ce prince, cet époux d’Édith Plantagenet, serait un chrétien ; et moi, interprète aveugle et insensé, j’en conclus la conversion du noble Saladin dont les bonnes qualités semblaient souvent le porter vers une meilleure croyance. Le sentiment de ma faiblesse m’a humilié jusqu’à la poussière, mais dans la poussière j’ai trouvé des consolations ; je n’ai pas su lire le sort des autres, qui peut m’assurer que je ne me suis pas trompé sur le mien ? Dieu ne veut pas que nous pénétrions ses secrets, ni que nous cherchions à deviner les mystères qu’il nous cache. Il faut attendre son heure dans les veilles et les prières, dans la crainte et dans l’espérance. Je suis venu ici en prophète austère et orgueilleux, je me croyais habile à instruire les princes, et doué même de facultés surnaturelles, quoique chargé d’un fardeau que je ne pensais pas que d’autres forces que les miennes pussent supporter ; mais le bandeau est tombé de mes yeux, je m’en retourne humble et pénétré de mon ignorance, pénitent, et non sans espoir. »

À ces mots il sortit de l’assemblée, et on dit que depuis ce moment ses accès de frénésie devinrent fort rares ; que sa pénitence prit un caractère plus doux et fut accompagnée de plus d’espoir pour l’éternité : tant il existe de présomption jusque dans la folie ! La conviction d’avoir conçu et exprimé avec tant de force une prédiction sans fondement parut produire sur lui le même effet que la perte du sang sur le corps humain qui calme et apaise la fièvre du cerveau.

Il est inutile de donner de plus grands détails sur la suite de la conférence qui eut lieu sous la tente de la reine, et de dire si David, comte de Huntingdon, fut aussi muet en présence d’Édith Plantagenet que lorsqu’il avait été forcé de jouer le rôle d’un esclave. On croira facilement qu’il sut lui exprimer avec vivacité la passion qu’il avait été forcé pendant si long-temps de réduire au silence.

L’heure de midi approchait, et Saladin attendait les princes de la chrétienté dans sa tente, qui, excepté sa vaste étendue, ne différait pas beaucoup de celles qui servent ordinairement d’asile au simple Arabe ou à l’habitant du Kurdistan. Cependant sous son vaste couvert était préparé un banquet des plus magnifiques, étalé d’après la coutume orientale sur des tapis de riches étoffes avec des coussins pour les convives. Mais nous ne pourrions décrire les draps