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la main et la bride. Quant à Conrad, il n’y avait pas moyen qu’il se relevât ; la lance de sir Kenneth avait percé son bouclier, traversé une armure plaquée d’acier de Milan, et pénétrant à travers un secret ou cotte de mailles qu’il portait sous sa cuirasse, lui avait fait une profonde blessure à la poitrine ; il avait été enlevé de sa selle, le manche de la lance restait enfoncé dans la blessure. Les parrains, les hérauts et Saladin lui-même s’empressèrent autour du blessé, tandis que sir Kenneth, qui avait tiré l’épée avant de s’apercevoir que son antagoniste était tout-à-fait hors de combat, lui commanda alors d’avouer son crime. On se hâta de lever la visière de son casque, et le blessé regardant le ciel avec des yeux égarés répondit : « Que voulez-vous de plus ? Dieu a décidé avec justice, je suis coupable : mais il y a de pires traîtres que moi dans le camp ; par pitié pour mon âme, procurez-moi un confesseur. »

Il se ranima un peu en prononçant ces mots. « Le talisman, le puissant remède, royal frère, dit Richard à Saladin.

— Ce traître, répondit le soudan, mérite plutôt d’être traîné hors de la lice à la potence, que de profiter des vertus de ce divin remède ; et un sort de ce genre est écrit dans ses regards, » ajouta-t-il après avoir fixé un moment le blessé ; « car, quoique sa blessure puisse être guérie, le sceau d’Azraël est sur le front de ce misérable.

— Néanmoins, dit Richard, je vous prie de faire pour lui ce qui sera possible, afin qu’il ait du moins le temps de se confesser ; nous ne voulons pas tuer son âme avec son corps. Pour lui une demi-heure peut être dix mille fois plus utile que la vie entière du plus vieux des patriarches.

— Le vœu de mon royal frère sera accompli. Esclaves, portez ce blessé dans notre tente !

— Ne faites pas cela, » dit le templier, qui jusque-là avait regardé dans un sombre silence ; « le royal duc d’Autriche et moi-même ne permettons pas que ce malheureux prince chrétien soit abandonné aux Sarrasins pour qu’ils essaient leurs enchantements sur lui ; nous sommes ses parrains et nous demandons qu’il soit remis à nos soins.

— C’est-à-dire que vous refusez les moyens certains qui s’offrent de le guérir, dit Richard.

— Non pas, » reprit le grand-maître en revenant à lui-même. « Si le soudan se sert de drogues permises, il peut soigner le malade dans ma tente.

— Fais-le, je t’en prie, mon bon frère, dit Richard à Saladin,