Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/319

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loyal chevalier, sir Kenneth d’Écosse, champion du roi Richard d’Angleterre, qui accuse Conrad, marquis de Montferrat, de lâche et déshonorante trahison envers ledit roi. »

Quand les mots Kenneth d’Écosse annoncèrent le nom du champion qui jusque-là n’avait pas été généralement connu, de hautes et bruyantes acclamations éclatèrent parmi la suite du roi Richard, et malgré les ordres répétés de faire silence, on eut de la peine à entendre la réponse du défendant. Celui-ci, naturellement, protesta de son innocence, et offrit son corps au combat. Les écuyers des combattants s’approchèrent alors, chacun remit à son maître le bouclier et la lance, et lui suspendit l’arme défensive autour du cou, afin que ses deux mains pussent rester libres, l’une pour manier la bride, l’autre pour diriger la lance.

Le bouclier de l’Écossais offrait ses anciennes armoiries : le Léopard ; mais on y avait joint un collier et une chaîne brisée, par allusion à sa dernière captivité. Le bouclier du marquis portait, conformément à son nom, une montagne escarpée, dont la cime était dentelée comme une scie. Chacun brandit sa lance en l’air comme pour s’assurer du poids et de la résistance de cette arme redoutable, et la mit ensuite en arrêt. Les parrains, les hérauts et les écuyers se retirèrent alors aux barrières, et les combattants se tinrent vis-à-vis l’un de l’autre, face à face, la lance en arrêt, la visière baissée, les membres si complètement couverts de fer, qu’ils ressemblaient plus à des statues de fonte qu’à des êtres vivants. Le silence de l’incertitude devint alors général, la respiration des spectateurs était plus pressée, et leur âme semblait être passée dans leurs yeux. On n’entendait d’autre bruit que le souffle et le piaffement des coursiers qui, comprenant ce qui allait arriver, étaient impatients de s’élancer dans la carrière. Cet état dura peut-être trois minutes ; mais à un signal donné par le soudan, cent instruments déchirèrent l’air de leurs sons aigus, et chaque champion donnant des éperons à son coursier et laissant aller un peu les rênes, les chevaux partirent au grand galop, et les chevaliers se heurtèrent au milieu de la lice avec un choc semblable au bruit du tonnerre. La victoire ne fut pas douteuse un seul moment. Conrad à la vérité se montra guerrier expérimenté. Il frappa son antagoniste en vrai chevalier au milieu de son bouclier, portant sa lance si droite et avec tant de précision qu’elle se brisa en éclats jusqu’au gantelet ; le cheval de sir Kenneth recula de cinq ou six pas et retomba sur ses hanches, mais le cavalier le releva facilement avec