Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/307

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sabre, et élevant l’arme en l’air, il partagea le voile flottant sur la lame en deux parties qui voltigèrent séparément dans la tente, montrant en même temps par cet exploit la trempe exquise de son arme et l’adresse merveilleuse de celui qui s’en servait.

« Par ma foi, mon frère, dit Richard, tu es sans égal pour le maniement du cimeterre, et il serait vraiment dangereux d’avoir à te combattre ! Cependant je mettrais encore quelque confiance dans un coup vigoureux comme nous en déchargeons nous autres Anglais ; ce que nous ne pouvons faite par l’adresse il faut l’emporter par la force. Néanmoins, tu es aussi expérimenté dans l’art de faire des blessures que mon sage Hakim dans celui de les guérir. J’espère que je verrai le savant, médecin… Je lui ai de grandes obligations, et lui ai apporté un modeste présent. »

Comme il disait ces mots, Saladin changea son turban contre un bonnet tatare. À cette vue, de Vaux ouvrit à la fois sa large bouche et ses grands yeux ronds, et Richard contempla l’étranger avec un étonnement qui ne fit qu’augmenter quand le soudan prononça ces paroles en changeant le ton ordinaire de sa voix contre un ton grave et sentencieux : « Le malade, dit le poète, connaît le médecin à son pas ; mais quand il est rétabli, il ne reconnaît pas même ses traits quand il l’a devant lui. »

— Au miracle ! au miracle ! s’écria Richard.

— Un miracle de Mahomet, sans doute ? dit Thomas de Vaux.

— Est-il possible que j’aie méconnu mon savant Hakim, reprit Richard, faute de sa robe et de son bonnet, et que je le retrouve dans mon royal frère Saladin !

— Cela se voit souvent dans ce monde, répondit le soudan : la robe déchirée ne fait pas toujours le derviche.

— Et ce fut par ton intercession, dit le roi, que le chevalier du Léopard fut sauvé de la mort, et par ton artifice qu’il rentra déguisé dans mon camp.

— Précisément, répondit Saladin. Je fus assez médecin pour comprendre qu’à moins que la blessure faite à son honneur fût guérie, il n’aurait que peu de jours à vivre. Son déguisement fut plus aisément découvert que je ne l’avais imaginé d’après le succès du mien.

— Un accident, » répondit le roi Richard, qui voulait sans doute parler de la circonstance où il avait appliqué ses lèvres sur la blessure du Nubien… « un accident me fit d’abord connaître que sa peau ne devait sa couleur qu’à l’art, et une fois cette découverte faite, le reste était facile à deviner, car sa taille et ses traits ne